dimanche 22 septembre 2019


Une noisette, un livre


 Villa Kérylos

Adrien Goetz




Au mont Ida, il y avait trois déesses, à la Pointe des Fourmis, il y  avait trois frères : Joseph, Salomon et Théodore, ironiquement surnommés J.S.T. Je Sais Tout. Théodore Reinach est celui qui a fait construire la Villa Kérylos au début du XX° siècle sous la conduite de l’architecte Emmanuel Pontremoli.  Un somptueux palais en hommage à la Grèce antique et où les hirondelles de mer peuvent aller se poser… Mais qui dit histoire grecque, dit mythologie. Et qui dit mythologie, pense Homère. C’est donc un vaillant  Achille, parfois en colère, qui nous ouvre les portes de la Villa lors d’un retour sur les lieux de son enfance. La scène est montée, l’opéra littéraire peut commencer. Rideau.

Sensation étrange dès les premières pages lues, celle de vouloir fermer les yeux pour s’offrir un mirage de beauté : humer les effluves méditerranéens, entendre la voix de la mer, sentir la pierre comme si sa main se posait sur une divinité, écouter battre l’histoire, suivre le héros, Achille, qui semble dérouler un long fil, non pas jusqu’à Naxos ou sur l’île de Dia, mais dans l’antre d’une demeure où ses amours semblent s’être perdues avec Ariane.

Mais qui est Achille, qui est ce bouillant  Achille ? Il est le fils de la cuisinière des voisins de la villa, dont le nom  est celui d’une dame de fer. Oui, Eiffel, Gustave Eiffel qui va permettre au jeune  Achille de pénétrer dans le cénacle des Reinach, en particulier celui de Théodore qui va lui faire découvrir l’art et lui apprendre le grec ancien. Bouillonnant d’intelligence, l’enfant, puis l’adolescent va devenir un proche de la famille, avoir pour Patrocle le fils de Joseph Reinach, Adolphe, qui rendra l’âme au début de la première guerre mondiale.

Les présentations étant faites, vous pouvez commencer la visite et traverser une époque où le meilleur côtoie le pire, où la beauté de l’art qui remonte aux calendes grecques fait face aux laideurs de l’affaire Dreyfus et à deux guerres mondiales. Une telle dichotomie laisse d’ailleurs perplexe, surtout que s’ajoute la mystérieuse disparition d’Ariane, et, soudain ce sont presque les vers de l’opéra Benvenuto Cellini qui s’immiscent dans la lecture

« De l’art splendeur immortelle,
Rayons à peine entrevus,
Mes yeux ne nous verront plus,
Non, mes yeux ne nous verrons plus. »

Puis, progressivement comme aurait clamé Werther, oublions tout. Et seulement se laisser transporter par la magie de l’écriture, celle où s’accouplent mots et notes, ce qui renvoie aux conférences de Théodore Reinach sur la place de la musique dans la civilisation des anciens Grecs « c’est la musique qui conduisait à la victoire ». Villa Kérylos est donc non seulement un hymne à Apollon, une quête de la couronne d’Alexandre, c’est une valse qui entraîne le lecteur dans les flots de la Méditerranée avec l’harmonie de la sémantique et tous les arts de l’instrumentation des civilisations.

« Le temps des Reinach débutait, et il s’achevait. L’époque où les gens très riches pouvaient aussi être très savants. Aujourd’hui, les gens riches ne sont plus jamais savants, et les savants ne sont plus jamais riches ».

« Le temps des princes et des grands amateurs va sur sa fin : on doit pouvoir emmener au musée les enfants de toute la France, ouvrir les salles du Louvre pour des cours devant les œuvres, pour que chacun ait la chance de progresser, de découvrir l’histoire, pour apprendre à aimer la beauté ».

« Tous ces bruits de Kérylos composaient une sorte de silence. Aujourd’hui, ils sont là, à nouveau, parce que la maison est vide, ce sont les bruissements des fantômes quand ils se croisent. Des sons qui restent quand il n’y a plus personne – et la voix claire d’Ariane, qui me manquera toujours ».

Villa Kérylos – Adrien Goetz – Editions Grasset – Avril 2017 / Le Livre de Poche – Avril 2019












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