Une noisette, un livre
Villa Kérylos
Adrien Goetz
Au
mont Ida, il y avait trois déesses, à la Pointe des Fourmis, il y avait trois frères : Joseph, Salomon et
Théodore, ironiquement surnommés J.S.T. Je Sais Tout. Théodore Reinach est
celui qui a fait construire la Villa Kérylos au début du XX° siècle sous la
conduite de l’architecte Emmanuel Pontremoli.
Un somptueux palais en hommage à la Grèce antique et où les hirondelles de mer peuvent aller se
poser… Mais qui dit histoire grecque, dit mythologie. Et qui dit mythologie,
pense Homère. C’est donc un vaillant
Achille, parfois en colère, qui nous ouvre les portes de la Villa lors
d’un retour sur les lieux de son enfance. La scène est montée, l’opéra
littéraire peut commencer. Rideau.
Sensation
étrange dès les premières pages lues, celle de vouloir fermer les yeux pour
s’offrir un mirage de beauté : humer les effluves méditerranéens, entendre
la voix de la mer, sentir la pierre comme si sa main se posait sur une
divinité, écouter battre l’histoire, suivre le héros, Achille, qui semble
dérouler un long fil, non pas jusqu’à Naxos ou sur l’île de Dia, mais dans
l’antre d’une demeure où ses amours semblent s’être perdues avec Ariane.
Mais
qui est Achille, qui est ce bouillant
Achille ? Il est le fils de la cuisinière des voisins de la villa,
dont le nom est celui d’une dame de fer.
Oui, Eiffel, Gustave Eiffel qui va permettre au jeune Achille de pénétrer dans le cénacle des Reinach,
en particulier celui de Théodore qui va lui faire découvrir l’art et lui
apprendre le grec ancien. Bouillonnant d’intelligence, l’enfant, puis
l’adolescent va devenir un proche de la famille, avoir pour Patrocle le fils de
Joseph Reinach, Adolphe, qui rendra l’âme au début de la première guerre
mondiale.
Les
présentations étant faites, vous pouvez commencer la visite et traverser une
époque où le meilleur côtoie le pire, où la beauté de l’art qui remonte aux
calendes grecques fait face aux laideurs de l’affaire Dreyfus et à deux guerres
mondiales. Une telle dichotomie laisse d’ailleurs perplexe, surtout que
s’ajoute la mystérieuse disparition d’Ariane, et, soudain ce sont presque les
vers de l’opéra Benvenuto Cellini qui s’immiscent dans la lecture
« De
l’art splendeur immortelle,
Rayons
à peine entrevus,
Mes
yeux ne nous verront plus,
Non,
mes yeux ne nous verrons plus. »
Puis,
progressivement comme aurait clamé Werther, oublions tout. Et seulement se
laisser transporter par la magie de l’écriture, celle où s’accouplent mots et
notes, ce qui renvoie aux conférences de Théodore Reinach sur la place de la
musique dans la civilisation des anciens Grecs « c’est la musique qui
conduisait à la victoire ». Villa Kérylos est donc non seulement un hymne
à Apollon, une quête de la couronne d’Alexandre, c’est une valse qui entraîne le
lecteur dans les flots de la Méditerranée avec l’harmonie de la sémantique et
tous les arts de l’instrumentation des civilisations.
« Le temps des
Reinach débutait, et il s’achevait. L’époque où les gens très riches pouvaient
aussi être très savants. Aujourd’hui, les gens riches ne sont plus jamais
savants, et les savants ne sont plus jamais riches ».
« Le temps des
princes et des grands amateurs va sur sa fin : on doit pouvoir emmener au
musée les enfants de toute la France, ouvrir les salles du Louvre pour des
cours devant les œuvres, pour que chacun ait la chance de progresser, de
découvrir l’histoire, pour apprendre à aimer la beauté ».
« Tous ces bruits
de Kérylos composaient une sorte de silence. Aujourd’hui, ils sont là, à
nouveau, parce que la maison est vide, ce sont les bruissements des fantômes
quand ils se croisent. Des sons qui restent quand il n’y a plus personne – et
la voix claire d’Ariane, qui me manquera toujours ».
Villa Kérylos – Adrien
Goetz – Editions Grasset – Avril 2017 / Le Livre de Poche – Avril 2019
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