Une noisette, un livre
Le cœur de
l’Angleterre
Jonathan Coe
Une
histoire politique de l’Angleterre du début du XXI° siècle, plus précisément de
2010 à 2018 avec le Brexit comme toile de fond, à travers les portraits d’une
famille et de leurs proches, une petite histoire dans la grande histoire
délicieusement peinte par les mots de Jonathan Coe.
Le
roman commence par l’enterrement de la mère de Benjamin et Lois Trotter, les
deux principaux protagonistes de cet arbre littéraire aux ramures politiques.
Est-ce mon côté délirant mais j’y vois dès le départ une similitude avec la
sortie de l’Angleterre de l’Union Européenne. Le frère et la sœur viennent de
perdre leur mère tout comme, quelques années plus tard, le pays de sa Majesté
va se séparer de la louve romaine…
Chaque
personnage assiste tout à tour au déclin social de l’Angleterre, émeutes,
augmentation de la pauvreté, racisme plus que rampant, dichotomie totale entre
le pouvoir et le peuple, mais tout en parcourant les racines culturelles et les
Jeux Olympiques de 2012. La narration des Jeux vaudrait d’ailleurs une médaille
de l’humour dans la catégorie épreuve livresque.
Une
approche sociologique tout en nuance, voire en douceur, et qui pourtant montre
la fracture brutale d’une nation et, par extension, d’une démocratie
occidentale. On entre un peu dans les couloirs de la manœuvre politique, de
l’aberration des opérations de communication tout en découvrant l’itinéraire
d’un « jeune » auteur voulant se faire publier et, en même temps, le
mépris grotesque de certains écrivains se croyant tout permis. Le tout dans les
destins de Sophie (la fille de Lois) et Ian, un couple que l’on suit au cours
de leurs pérégrinations professionnelles, familiales et amoureuses.
Le
menu parait copieux et pourtant c’est d’une légèreté telle que l’on serait prêt
à recommencer la lecture dès la dernière page tournée. Car si le fond est un
sujet sérieux, la forme prend un peu le chemin de l’école buissonnière, celui
des découvertes, de la poésie, du bucolique et des surprises. Sans oublier
l’invité d’honneur que l’écrivain a choisi d’accueillir par la grande
page : Mister dérision. Une malice tout en finesse mais à faire craquer le
plus austère des croque-morts ; par exemple, la scène, disons polissonne, de la penderie
est jouissive !
Un
roman au cœur de l’actualité sublimé par cette écriture lumineuse qui éclaire
même le côté sombre de certaines âmes et réalités d’une époque parfois bien
ombrageuse. Avec une noisette sur le livre : celle de se constituer une
playlist allant d’Edward Elgar à Amy Winehouse.
Quant
à la fin, sans la révéler, elle est porteuse de tous les espoirs…
« Sauf votre
respect, Douglas, sincèrement, je trouve que vous ne devriez pas traiter ce
sujet à la légère. Nous venons d’évoquer une situation qui pourrait être lourde
de conséquences en profondeur. N’oubliez pas que Londres va recevoir les Jeux
Olympiques l’an prochain ».
« La douleur
dans ses mollets se doublait d’une absence totale de sensibilité dans tout le
reste de son corps. Il se jeta sur la porte, l’ouvrit d’un seul coup et ils
sortirent de la penderie en titubant pour atterrir tout de go sur la moquette
dans un méli-mélo de bras et de jambes. Benjamin se tenait toujours le mollet
en pleurant de douleur. Jennifer s’assit, aperçut ce qu’elle tenait encore en
main et éclata de rire ».
« On dira ce
qu’on voudra, la seule chose qui intéresse les journaux, c’est le papier qu’ils
en tireront. Et si l’histoire ne leur suffit pas, ils tâchent de la corser.
Tout personnage public qui parle aux médias le fait à ses risques et périls ».
Le cœur de
l’Angleterre – Jonathan Coe – Traduction Josée Kamoun - Editions Gallimard – Août 2019
Livre lu dans le
cadre des Explorateurs de la rentrée littéraire de lecteurs.com (Fondation
Orange)
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