Une noisette, un livre
Kintu
Jennifer Nansubuga Makumbi
Un
geste et toute une lignée semble subir pendant des siècles un mauvais sort, une
malédiction. Kintu, gouverneur d’une province du Buganda au dix-huitième siècle
gifla, presque par inadvertance, son fils adoptif qui mourut juste après.
Depuis, tous les descendants semblent être voués à la même fatalité face aux
morts brutales et aux drames continus.
C’est
ainsi que l’on suit les traces de Kamu, brutalement assassiné alors qu’il
sortait du domicile d’une de ses compagnes,
Suubi, une femme harcelée par sa mystérieuse sœur et perdue dans
ses mensonges par rapport à ses parents ; Kanani un fanatique religieux de la
congrégation des réveillés et ses deux enfants jumeaux inséparables ;
Isaac au parcours atypique, se retrouvant veuf avec un garçon de quatre ans et
qui pense être porteur du VIH ; Miisi, celui qui sait, qui à étudié à
l’étranger et qui refuse de croire à toutes les superstitions mais qui pourtant
est hanté par des visions.
Une
galerie de personnages autour desquels évoluent enfants et autres membres de la
famille jusqu’au rassemblement finale où l’on retrouve tous les protagonistes
autour de l’esprit du village de Kiyiika avec les réponses à toutes les
questions que le lecteur peut se poser tout le long du déroulement de cette
saga chorale.
Ce roman, proche d’un esprit biblique, où se mêlent fiction réaliste et légendes,
récit et conte, est une formidable palette pour s’immerger dans ce territoire
africain du Buganda, royaume du peuple baganda au sein de l’Ouganda entre ses
multiples clans et ses différentes ethnies, ces territoires découpés de façon
arbitraire par les colonisations… C’est aussi un pan de l’histoire géopolitique
qui est savamment soulevé par les divers paragraphes consacrés au tristement
célèbre Amin Dada. Même si l’histoire va bien au-delà, contrairement à d’autres
récits sur l’Ouganda.
L’écriture
de Jennifer Nansubuga Makumbi est foisonnante et fait de ce premier roman une
richesse littéraire en confirmant le talent du peuple africain pour narrer leur
pays et se démarquer par l’extraordinaire franchise de leurs écrits. Aucune
concession, aucun tabou écarté, laissant les effets sentimentaux sur le bord de
la route pour plonger dans les méandres impitoyables de la vie et de la mort.
C’est puissant comme chaque destin des personnages et sans aucun doute, une
première pierre de posée pour Jennifer Nansubuga Makumbi chez qui se dessine un avenir radieux.
« Là, assis par
terre dans le salon, Isaac jouait avec un énorme serpent. Celui-ci s’enroula
autour de sa taille alors qu’il se mettait à quatre pattes ave un rire joyeux.
Puis Isaac souleva son buste du sol et resta en équilibre sur les mains et les
orteils. Le serpent le caressa avec ses anneaux, s’enroula autour de son ventre
et remonta le long de sa poitrine jusqu’à se trouver devant son visage. Isaac
lui tira la langue et s’écroula à nouveau de rire lorsque le serpent
l’imita ».
« Mais la honte le
submergea ensuite et il refoula ses larmes en clignant des yeux. Il se dit
qu’aucun être humain ne devrait être déchiré ainsi entre le bien et le mal, la
justice et l’injustice, comme lui l’était à ce moment là. Il avait besoin de
quelqu’un, d’un objet, de quelque chose à blâmer, mais tout ce qu’il pouvait
trouver dans cette pièce était la tristesse ».
Kintu – Jennifer
Nansubuga Makumbi – Traduction céline Schwaller – Editions Métailié – Août 2019
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