Une noisette, un livre
Un soleil en exil
Jean-François Samlong
2015. Ceci n’est
pas une date mais un nombre. Celui des mineurs « déportés » de l’île
de la Réunion vers la métropole, de 1962 à 1984. Des enfants, parfois en très
bas âge, arrachés à leur famille pour repeupler des territoires souffrant d’un
déclin démographique et donner des bras aux fermes de la Creuse, de la Corrèze,
du Cantal… Des enfants séparés de la fratrie, corvéables à merci. Mais selon le
député de l’île de la Réunion, Michel Debré et « père » de la loi
(même si déjà des idées similaires avaient été évoquées sous la III°
république), c’était pour le bien être de tous, en particulier des enfants pour
leur donner un savoir, un métier… genre coups de pied au cul éducatifs…
Jean-François
Samlong, originaire de la Réunion et ayant lui-même échappé de peu à ce gouffre
de l’exil, narre une histoire poignante et terrifiante. Si l’aspect romancé est
le choix de l’auteur, il n’en demeure pas moins que les faits sont réels et
tragiques.
Le lecteur
fait la connaissance d’Heva des années après les faits. Elle est mariée, a deux
enfants et a décidé de relater son parcours pour montrer au monde ce qu’ont
subi des centaines d’enfants. Elle sait que par l’écriture on peut également se
reconstruire, que les mots ont cette puissance de transmettre et pouvoir
réapprendre à aimer. Et à s’aimer. Sans angélisme et sans haine, elle va mettre
des mots sur les maux, mettre des pansements de vocables sur les blessures qui
suintent encore. Nous sommes le 18 février 2014.
Si le récit
est crépusculaire, un personnage solaire se dessine tout au long de la
narration, c’est justement celui d’Heva Lebihan, jeune adolescente prise dans
les mailles du filet de la République Française avec ses deux jeunes
frères : Manuel et Tony. Leur père est en prison pour homicide volontaire
et leur mère agonise après un avortement clandestin. Tous les ingrédients sont
réunis pour que les services de l’Etat les interceptent pour les parachuter
dans la région de Guéret. Séparés, Heva sera la plus chanceuse pour être
accueilli chez une certaine Dame Clery (de son vrai nom Fischol) et d’un sieur
Jérôme. Tout est glacial, sévère mais la jeune réunionnaise ravale ses larmes
et fait preuve d’un courage exemplaire. Monsieur Jérôme tombe malade et il
devra la vie à Heva. Reconnaissant, il va tout faire pour que l’adolescente
retrouve ses frères avec l’aide de l’infirmier, d’un inspecteur au grand cœur
et du directeur du foyer de l’enfance qui, à titre personnel, s’insurge contre
de telles pratiques colonialistes. Madame Clery va aussi la soutenir car elle
sait trop bien ce que signifie que perdre les siens, la Shoah ayant décimé sa
famille. Quant à Monsieur Jérôme lui aussi, sait combattre, ancien résistant il
s’est échappé pendant la Deuxième Guerre mondiale d’un camp de la mort.
Toute
l’ingéniosité de l’écrivain que de mettre ces deux tragédies en
parallèle ; si on ne peut les comparer, des enfants sont morts par suicide
ou suite à des maltraitances, des violences sexuelles ont été commises, et combien
de mineurs ont été internés d’office et ont péri dans l’anonymat le plus
assourdissant…
Un roman bien
sombre mais qui se veut réconciliant, et cet espoir est d’autant plus beau que
beaucoup de questions se posent encore sur ce scandale français. 22 ans de
transferts d’enfants, d’orphelins, de mineurs isolés, basculés du jour au
lendemain dans un univers inconnu et sans recevoir aucun amour. Une route de
l’exil forcé où les corps survivent mais où les âmes s’éparpillent.
« Un
soleil en exil », une lecture incontournable et peut-être un nouveau
tremplin pour redonner de l’espérance à ces nombreux exilés dont l’enveloppe de
l’enfance fut enlevée pour la jeter trop tôt dans un monde impitoyable
d’adultes.
« Comme le miroir réfléchit la
lumière, ma mémoire doit réfléchir les pensées qui me hantent, sans que les
sanglots m’étouffent ».
« Mes frères m’attendaient
quelque part, derrière le silence de la brume creusoise, je le savais bien, à
moi de marcher vers eux dans l’air vif, le froid, sans accorder trop
d’importance aux incertitudes qui me feraient vaciller, et surtout ne pas
imaginer le pire, je le retrouverais ».
« En jetant un œil dans la
cuisine, je me suis dit que la majorité d’entre nous avaient cru pouvoir
échapper à l’enfer dans l’île, sans penser que nous allions en connaître un
plus terrifiant toute notre vie, sans le soleil à l’horizon, ni une étoile,
tous réduits au silence ».
« Quand on creuse dans l’inconnu,
chaque réponse se gonfle de doute et chaque doute se gonfle d’anxiété ».
« L’essentiel, c’est de rester du
côté de l’humanité ».
Un soleil en exil – Jean-François
Samlong – Editions Gallimard / Collection Continents noirs – Août 2019
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