Une noisette, un livre
Un père sans enfant
Denis Rossano
« Ma
naissance et ma mort, voilà toute mon histoire. Entre mon berceau et ma tombe,
il y a un grand zéro ».
Cette
phrase de Napoléon II, duc de Reichstadt aurait pu être prononcée par Klaus
Detlef Sierck, tant il y a de similitude entre le fils de Napoléon Ier et celui
du réalisateur Douglas Sirk, né Hans Detlef Sierck. Une enfance baignée dès le
plus jeune âge dans la politique, une mort prématurée ; l’un, Metternich qui
envoie vers la mort le jeune roi de Rome en refusant qu’il rejoigne sa mère
pour des soins, l’autre, Goebbels, qui le condamne au trépas en le séparant de
sa mère et en le précipitant vers le front russe. L’un comme l’autre auront à
peine connu leur père ; à l’âge de trois ans c’est la séparation définitive avec
le géniteur. Des pères sans enfant, des enfants sans père…
Denis
Rossano a choisi la voix du roman pour raconter l’histoire familiale tragique
du réalisateur du « Secret magnifique » ou de « Mirage de la
vie », entre autres, et qui fera de Rock Hudson une star. Car le
réalisateur américain est en réalité né suédois et a débuté sa carrière en
Allemagne. Il fut même l’une des vedettes de l’UFA, la société de production
cinématographique nationalisée sous le régime nazi et dirigé par le plus que
sinistre Joseph Goebbels. Mais à la fin des années 30, Sierck est contraint de quitter le pays et
s’exiler, sa deuxième épouse, Hilde, est juive et il veut la protéger à tout
prix. Il part de Berlin la mort dans l’âme car il sait déjà qu’il ne pourra
jamais revoir son fils né d’une première union. Lydia, la mère, devient l’une
des égéries du régime hitlérien et exigera de son ex-mari qu’il ne voit plus
jamais son fils. Elle élèvera le jeune Klaus Detlef Sierck dans la culture
nazie et en fera une vedette de cinéma : lui, l’enfant blond aux yeux
clairs ne peut être qu’un exemple pour vanter la race aryenne. Un drame en
pratiquement un seul acte mais avec un rideau qui ne tombera jamais dans l’âme
de son père et qui ne cessera d’apporter toutes les ombres de ce fils quasi
inconnu dans ses diverses réalisations.
Cette
biographie romancée est simplement incroyable, tant pour la délicatesse de
l’écriture que pour la richesse informative autour du réalisateur et du cinéma
allemand des années 30. Mais c’est aussi un long-métrage littéraire offrant les
images d’un père en souffrance et d’un fils qui, durant sa trop brève
existence, a dû pâtir de l’absence de son paternel malgré tout l’amour maternel
reçu. Le père n’a pu revoir son fils que dans des films, est-ce que le fils
suivait l’actualité de son géniteur à l’insu de sa mère comme tente le dire
l’écrivain, rien n’est peut-être certain. Les faits relatés sont réels mais
reste une part de fiction comme dans tout bon roman.
Entre
conversations avec le cinéaste dans sa dernière demeure à Lugano et flashbacks
sur la vie professionnelle de Douglas Sirk, le lecteur découvrira, grâce à un
minutieux travail d’enquête, un personnage complexe, tourmenté et attachant. Et
que toute son œuvre a tourné dans une quête sans issue d’un fils disparu à
jamais, d’un fils tant aimé malgré la séparation, d’un fils caché pour le grand
public mais jamais oublié au plus profond de son âme. Klaus était son fils
unique… D’où la douleur encore plus intense.
Il
reste encore probablement des zones d’ombres autour de ce drame et personne ne
saura jamais l’intensité des sentiments de culpabilité qui ont pu envahir ce
père sans son fils, mais c’est un très bel hommage rendu à ces êtres qui se
sont perdus mais qui se retrouvent désormais dans la mémoire collective. Et qui
permet de ne pas oublier toutes les victimes du régime nazi mais également, par
extension, toutes ces familles déchirées au cours des siècles par les guerres,
l’idéologie, le fanatisme, l’exil.
« C’est la première
fois qu’Hilde prononce le prénom de Klaus à voix haute depuis des années.
Aujourd’hui, elle pense à l’enfant. Parce qu’il n’a jamais cessé d’être
présent, à la surface du silence, le petit garçon blond des passés dévastés, le
fils de toutes les promesses et des espoirs oubliés ».
« Gros plan :
le visage d’un gamin blond. Ses traits envahissent l’écran. C’est le fantôme de
Klaus. C’est Detlef, qui filme son fils arraché, qui en fait un chérubin de
l’espoir. Pour lui tout seul, car personne d’autre probablement ne fait le
lien. Klaus ne lui appartient plus mais il va désormais hanter son père et son
cinéma ».
Un père sans enfant –
Denis Rossano – Allary Editions – Août 2019
Prix Révélation Automne 2019 de la Société Des Gens de Lettres
Prix Révélation Automne 2019 de la Société Des Gens de Lettres
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