dimanche 8 septembre 2019


Une noisette, un livre


 Le collier rouge

Jean-Christophe Rufin




Eté 1919. La France est sous le poids de quatre ans de guerre impliquant plus de soixante millions de soldats, des morts et blessés par millions également, et d’innombrables destructions. Dans les esprits, cette première guerre mondiale laisse des traces ineffaçables avec un sentiment, certes de fierté pour certains, mais aussi de révolte face à l’absurdité d’un conflit brisant des millions de vie et à la dichotomie totale entre le peuple et les dirigeants, ceux qui exécutent et ceux qui ordonnent. Dans l’enfer des affrontements, dans l’absurdité belliqueuse, l’homme cesse d’être un humain et c’est l’instinct animal qui commande.

C’est au cœur du Berry, probablement dans le secteur de Vallenay, qu’est retenu prisonnier dans une caserne déserte, le caporal Jacques Morlac pour un acte insensé (que le lecteur découvre à la fin du récit) et pour lequel il risque une lourde condamnation. Le juge militaire Lantier du Grez  est chargé de son procès, un homme dont la noblesse ne coule pas uniquement dans ses veines mais circule intensément dans ces cellules cérébrales, la guerre l’ayant fait réfléchir sur les errances des valeurs humaines.

Et puis, il y a le chien... Un chien sans race, apparemment sans nom, usé, fatigué mais qui semble d’une fidélité et d’une loyauté à toute épreuve. Il est là, assis devant la prison, aboyant, hurlant. Le juge Lantier est immédiatement surpris pas sa présence et par son attitude, jusque là il n’était au courant que de son existence. Dans les yeux de ce cabot aux multiples blessures semble être transcrites toutes les défaillances mais aussi les plus belles qualités humaines  Il apprendra qu’il est au départ le chien de la compagne de Morlac, Valentine, une jeune femme pacifiste et au comportement sibyllin qui semble porter bien plus que le poids des années vécues.

D’audience en audience, on découvre le nœud de l’histoire, celle de Morlac mais aussi celle de son chien, à travers la guerre qui conduira le caporal au-delà des Balkans et c’est lors d’une attaque à Tcherna contre les forces bulgares que lui sera décernée la Légion d’honneur pour son action héroïque. Et puis, il y a le chien…

Un court mais absolument délicieux roman où s’entrecroisent la bravoure humaine et la fidélité canine avec de judicieuses réflexions tout en transparence sur la guerre et les engagements des uns et des autres, entre orgueil et utopie. Sans oublier ces sentiments que deux êtres ne savent toujours pas exprimer et qui peuvent entraîner toutes les contradictions.

Si Morlac retient l’attention, le personnage de Lantier est admirable dans sa philosophie de vie et l’élégance de sa conduite. Et puis, il y a le chien… Tous les inconditionnels canins ne pourront qu’être ravis par ces pages où ce compagnon quadrupède  prend une dimension humaine dans les tourments des âmes des bipèdes.
C’est effectivement dans les paradoxes et les méandres des relations humaines, que l’on peut apercevoir par un animal la plus noble des qualités, celle de la fidélité. Cette loyauté dans l’animal qui devient humain au moment, celui des guerres justement, où on demande à l’homme de devenir une bête.

Comme souvent dans l’œuvre de  Jean-Christophe Rufin,  le roman s’achève sur un sommet de délicatesse et à l’instar de Guillaume l’esquisse d’un sourire se forme en refermant le livre…

« Lantier observa la manière qu’avait ce vieux cabot de froncer les sourcils en inclinant légèrement la tête, d’ouvrir grand les yeux pour exprimer son contentement ou de les plisser en prenant l’air sournois pour interroger l’être humain auquel il avait affaire sur ses intentions et ses désirs. Ces mimiques, jointes à de petits mouvements expressifs du cou, lui permettaient de couvrir toute la palette des sentiments. »

« A mesure qu’on avance dans les allées forestières, on découvre des alignements inattendus. Le désordre des troncs fait alors place, pour un instant, à une trouée rectiligne qui semble conduire jusqu’à l’horizon. Cette irruption de la volonté humaine dans le chaos de la nature ressemble assez à la naissance de l’idée dans le magma des pensées confuses ».

« Lantier songea que la compagnie des chiens était la seule présence qui ne trouble pas la solitude ».

Le collier rouge – Jean-Christophe Rufin – Editions Folio – Mars 2015

Benoît Gysemberg en 1990 au Tchad ©Scoop

Plus émouvant encore est d’apprendre par une postface, que c’est une histoire vraie, celle du grand-père de feu l’intrépide photojournaliste et reporter de guerre Benoît Gysemberg. Un bel hommage pour la vaillance de ces hommes ayant traversé ou traversant la géhenne des conflits, pour tous ces animaux impliqués directement ou indirectement dans les guerres et victimes de la folie bestiale des humains et pour ces reporters qui prennent des risques inouïs pour nous informer et tenter de réveiller les consciences par leurs photos et leur reportages.



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