Une noisette, un livre
Le collier rouge
Jean-Christophe Rufin
Eté
1919. La France est sous le poids de quatre ans de guerre impliquant plus de
soixante millions de soldats, des morts et blessés par millions également, et
d’innombrables destructions. Dans les esprits, cette première guerre mondiale
laisse des traces ineffaçables avec un sentiment, certes de fierté pour
certains, mais aussi de révolte face à l’absurdité d’un conflit brisant des
millions de vie et à la dichotomie totale entre le peuple et les dirigeants,
ceux qui exécutent et ceux qui ordonnent. Dans l’enfer des affrontements, dans
l’absurdité belliqueuse, l’homme cesse d’être un humain et c’est l’instinct
animal qui commande.
C’est
au cœur du Berry, probablement dans le secteur de Vallenay, qu’est retenu
prisonnier dans une caserne déserte, le caporal Jacques Morlac pour un acte
insensé (que le lecteur découvre à la fin du récit) et pour lequel il risque une
lourde condamnation. Le juge militaire Lantier du Grez est chargé de son procès, un homme dont la
noblesse ne coule pas uniquement dans ses veines mais circule intensément dans
ces cellules cérébrales, la guerre l’ayant fait réfléchir sur les errances des
valeurs humaines.
Et
puis, il y a le chien... Un chien sans race, apparemment sans nom, usé, fatigué
mais qui semble d’une fidélité et d’une loyauté à toute épreuve. Il est là,
assis devant la prison, aboyant, hurlant. Le juge Lantier est immédiatement
surpris pas sa présence et par son attitude, jusque là il n’était au courant
que de son existence. Dans les yeux de ce cabot aux multiples blessures semble être
transcrites toutes les défaillances mais aussi les plus belles qualités
humaines Il apprendra qu’il est au
départ le chien de la compagne de Morlac, Valentine, une jeune femme pacifiste
et au comportement sibyllin qui semble porter bien plus que le poids des années
vécues.
D’audience
en audience, on découvre le nœud de l’histoire, celle de Morlac mais aussi
celle de son chien, à travers la guerre qui conduira le caporal au-delà des
Balkans et c’est lors d’une attaque à Tcherna contre les forces bulgares que
lui sera décernée la Légion d’honneur pour son action héroïque. Et puis, il y a
le chien…
Un
court mais absolument délicieux roman où s’entrecroisent la bravoure humaine et
la fidélité canine avec de judicieuses réflexions tout en transparence sur la
guerre et les engagements des uns et des autres, entre orgueil et utopie. Sans
oublier ces sentiments que deux êtres ne savent toujours pas exprimer et qui
peuvent entraîner toutes les contradictions.
Si
Morlac retient l’attention, le personnage de Lantier est admirable dans sa
philosophie de vie et l’élégance de sa conduite. Et puis, il y a le chien… Tous
les inconditionnels canins ne pourront qu’être ravis par ces pages où ce compagnon
quadrupède prend une dimension humaine
dans les tourments des âmes des bipèdes.
C’est
effectivement dans les paradoxes et les méandres des relations humaines, que
l’on peut apercevoir par un animal la plus noble des qualités, celle de la
fidélité. Cette loyauté dans l’animal qui devient humain au moment, celui des
guerres justement, où on demande à l’homme de devenir une bête.
Comme
souvent dans l’œuvre de Jean-Christophe
Rufin, le roman s’achève sur un sommet
de délicatesse et à l’instar de Guillaume l’esquisse d’un sourire se forme en
refermant le livre…
« Lantier observa
la manière qu’avait ce vieux cabot de froncer les sourcils en inclinant
légèrement la tête, d’ouvrir grand les yeux pour exprimer son contentement ou
de les plisser en prenant l’air sournois pour interroger l’être humain auquel
il avait affaire sur ses intentions et ses désirs. Ces mimiques, jointes à de
petits mouvements expressifs du cou, lui permettaient de couvrir toute la
palette des sentiments. »
« A mesure qu’on
avance dans les allées forestières, on découvre des alignements inattendus. Le
désordre des troncs fait alors place, pour un instant, à une trouée rectiligne
qui semble conduire jusqu’à l’horizon. Cette irruption de la volonté humaine
dans le chaos de la nature ressemble assez à la naissance de l’idée dans le
magma des pensées confuses ».
« Lantier songea
que la compagnie des chiens était la seule présence qui ne trouble pas la
solitude ».
Le collier rouge –
Jean-Christophe Rufin – Editions Folio – Mars 2015
Benoît Gysemberg en 1990 au Tchad ©Scoop |
Plus
émouvant encore est d’apprendre par une postface, que c’est une histoire vraie,
celle du grand-père de feu l’intrépide photojournaliste et reporter de guerre
Benoît Gysemberg. Un bel hommage pour la vaillance de ces hommes ayant traversé
ou traversant la géhenne des conflits, pour tous ces animaux impliqués
directement ou indirectement dans les guerres et victimes de la folie bestiale
des humains et pour ces reporters qui prennent des risques inouïs pour nous
informer et tenter de réveiller les consciences par leurs photos et leur
reportages.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire