Une noisette, un livre
Les Vents noirs
Arnaud de la Grange
Quand
on débute la lecture de ce premier roman d’Arnaud de la Grange, on se demande
soudainement si l’ombre de Dante ne s’est pas infiltrée dans le journaliste
tant on croit arriver aux portes de l’enfer : « On pendait ici les hommes comme ailleurs on accroche du linge à
sécher ».
Mais
cette première phrase explique peut-être tout, elle symbolise à la fois la
géhenne des guerres et celle de ceux qui la font, comme le lieutenant Verken.
Un personnage très complexe, attachant, et qui en dit long sur les blessures de
l’âme face aux Hadès des temps modernes. Verken est d’apparence très dure mais
se cachent des failles beaucoup plus sensibles ; c’est un écorché vif,
marqué par la première guerre mondiale, puis par les errances mensongères de
son père, le décès prématuré de son frère, par tout ce qui l’entoure, attiré
par les batailles tout en s’effrayant de sa noirceur.
Appelé
pour retrouver en Sibérie puis au Taklamakan l’archéologue Emilie Theliot qui
semble avoir sombré dans la folie, il participe à des manœuvres dans la Russie
qui se meurt. La Sibérie est le théâtre de combats sanglants entre des factions
de différentes couleurs qui n’en sont plus, subsistent seulement les
« Noirs » au goût de cendre, les « Rouges » au goût du
sang, les « Blancs » au goût du néant. Nous sommes en 1919 en pleine guerre civile, les républicains et les
monarchistes avec l’aide de quelques puissances occidentales affrontent les
Bolcheviks.
Dans
la région du Xinjiang ce n’est guère mieux, c’est l’époque des « seigneurs
de la guerre », la nouvelle république de Chine est divisée depuis la
chute de l’empire ; au Taklamakan, la « mer de la mort » prend
toute sa dimension et pas seulement pour ses vents de sable. Vents noirs, vents
mauvais, vents contraires.
Dans
ce fatras le lieutenant continue à aller de l’avant, à combattre sans se
retourner, non pour se retrouver comme Orphée (car c’est plutôt son amante
Victoria qui déclamerait « que faro senza Verken) mais pour éviter de
revenir en arrière. Pétri d’une cavalcade interne, il préfère chevaucher par
monts et par vaux à la recherche de l’égarement des hommes.
Récit
à l’écriture recherchée et, très fourni en détails historiques et
archéologiques, il devient envoutant au fil des pages et se déroule un peu
comme un long métrage, on voyage à la fois dans la misère de la violence des
combats et la vaillance des cosaques, on ressent un vertige livresque entre
montagnes, beauté des paysages et l’histoire des hommes. Une histoire qui se
fond dans l’image des aigles : « Les
débris du nid étaient éparpillés sur le sol. Les deux aigles adultes se
tenaient l’un à l’autre sur le mur voisin, gémissant comme des hommes pleurant
la mort d’un proche. Si fiers et hargneux le jour d’avant, les rapaces étaient
maintenant humbles et démunis. Il avait fallu que dans leur chair ils soient
frappés ».
Réussite
romanesque et on escompte un second opus pour se délecter d’histoire, d’évasion,
mais aussi de petites phrases qui arrivent comme de belles petits claques.
Une
petite noisette me dit d’ailleurs que l’attente ne va pas être très longue…
« Tant qu’un homme
a le choix, il ne mérite pas la pitié ».
« Les mondes qui
meurent suscitent une brutale envie de vivre, au moins d’en avoir
l’illusion ».
« Le Gandhara,
royaume perché au-dessus de trois civilisations. Là, s’étaient mêlées les
influences indienne, perse et hellénistique. Quand Alexandre avait porté l’âme
grecque derrière ses phalanges, l’art des bouddhistes indiens s’était marié à
celui des esthètes d’Athènes. Dans ces hautes vallées, les artistes avaient
pour la première fois osé donner visage et corps à Bouddha. Le nez des statues
était droit et le cheveu bouclé. Comme ceux des fils du Macédonien. Mais
l’ovale du visage disait l’Inde et ses peintres. La fusion était parfaite. Les
visages grimaçants des temples du Gange se fondaient dans les traits apaisés
d’une sculpture grecque ».
« Il avait besoin
d’un but pour aller nulle part ».
« Verken avait une
solide aversion pour la race des courtisans. Il avait vu des êtres de valeur
s’abaisser jusqu’à poussière. Pour des ambitions qui au soir de leur vie
apparaissaient bien vaines ».
« La France aime
les pedigrees et classer les hommes sur des étagères ».
Les Vents noirs – Arnaud
de la Grange – Editions Jean-Claude Lattès – Août 2017
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