Une noisette, un livre
Jiazoku
Maëlle Lefèvre
Bienvenue
à Tokyo dans l’un des quartiers les plus redoutables de la capitale
japonaise : Kabuchiko, là où la mafia fait la loi, les yakusas, les
maîtres du crime organisé et de trafics les plus audacieux… Parmi les membres
du clan Kobayashi, règne Daisuke, terrifiant et d’apparence sans aucune pitié
pour son prochain ; il dirige toute une organisation de mères porteuses
qui fournissent de riches chinois dans l’empire du Milieu.
On
fait d’abord connaissance avec Guan Yin, elle vient de Chine avec son amie Bo,
anciennes prostituées, elles sont devenues des mères porteuses après ne plus
être assez dans les normes pour exercer le plus vieux métier du monde. Si Bo a
des difficultés pour mener à bien ses grossesses, Guan, maman de An, met au
monde un petit Kei commandé par de riches chinois de Shanghai déjà parents
d’une petite Fen. Mais les parents décèdent dans un accident de voiture et Kei
est envoyé dans un orphelinat dirigé par… Daisuke, aucun profit financier dans
l’illégalité ne doit être écarté.
Fen
sera élevée par la sœur de sa mère, une femme austère n’offrant qu’une
éducation rigide à sa nièce. Le tout dans le luxe et la richesse. Kei
s’attachera à sa nourrice de la maison d’accueil mais en sera séparé à l’âge de
trois ans quand Daisuke rappellera sa mère porteuse pour l’élever en prenant
lui-même soin de veiller sur l’enfant sans montrer le moindre sentiment à son
égard, lui le chef mafieux intransigeant et séparé de son épouse refusant
d’être père. Kei et Fen se croient chacun dans leur pays des enfants uniques,
et pourtant… Arriveront-ils à se retrouver ? Comment Guan va pouvoir gérer
l’éducation de cet enfant qu’elle avait été obligée de donner ? Et
Daisuke, qui est-il vraiment ? Lui seul connait l’existence d’une sœur et
les conditions de naissance de Kei.
Ce
roman est du tout en un. Un récit palpitant où de nombreux thèmes sont abordés,
à commencer par celui des mères porteuses et de ses dérives mais aussi, la
dichotomie entre le luxe et la pauvreté, l’errance des êtres nés innocents mais
qui rapidement doivent affronter un monde violent même pour ceux ayant de
l’argent, car rien ne remplace ce qui est le plus important : l’amour,
l’affection et la non pudeur des sentiments. Or nous sommes en Asie, en Chine
et au Japon où l’épanchement de l’âme est prohibé, où toutes les pratiques
sexuelles sont permises mais où la pudeur est un maître comportement. Et puis
cette sempiternelle question de montrer ou non sa faiblesse, la peur d’être
trop sensible et de sacrifier sa destinée sur la dureté des cailloux de la vie.
La
jeune auteure (elle a écrit ce roman à dix-sept ans !) propose une très
sensible approche sur les relations entre enfants et adultes, le mal-être de
l’enfance quand l’intimité et les émotions ne doivent jamais être non seulement
montrés mais aussi partagés. Un constat époustouflant sur les non-dits qui en
disent beaucoup, sur la transparence lumineuse des êtres dans leur opacité
ténébreuse.
C’est
aussi un tremplin pour faire découvrir les différences et les ressemblances
entre la Chine et le Japon, trop souvent confondus ou relatés avec de nombreux
clichés avec de nombreuses références linguistiques qui éveillent toute la
curiosité des sens.
A
côté de la violence de l’immersion dans les mafias c’est une épopée familiale
d’êtres solitaires, un récit haletant sur la force et le pouvoir de résistance
des enfants, un miroir des comportements des adultes et le reflet qu’ils
veulent bien en donner, et, en prime une belle visite de Shangai.
Un
livre que l’on peut qualifier de magistral tant pour l’écriture que pour la
richesse du fond mais aussi pour saluer l’incroyable maturité de Maëlle
Lefèvre, un bel avenir littéraire devrait se profiler sur son chemin.
« Daisuke ne
pouvait plus supporter toute cette mascarade. Les femmes, les enfants… Ce
n’était pas son monde et ça ne le serait jamais. Ces jérémiades, ces
attachements, cette douceur écœurante l’exaspéraient. Il en était
certain : sur cette terre, les bons sentiments n’étaient rien d’autre que
des anomalies ».
Jiazoku – Maëlle Lefèvre
– Editions Albin Michel - Janvier 2019
Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019
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