Une noisette, un livre
Un étrange pays
Muriel Barbery
Ouvrez
un livre, doucement, et vous entrez dans un univers hors du temps, hors de
l’espace, hors du visible pour pénétrer un invisible transparent avec un peuple
de brumes, des elfes se transformant en animaux mais pouvant devenir plus
humain que les humains quand ils débarquent chez le peuple de la terre.
De
la naissance du Pavillon des Brumes 400.000 av. J.C. jusqu’au début du XX°
siècle, c’est un voyage fantastique dans un au-delà imaginaire mais avec
quelques atterrissages terriens en France, en Italie et en Espagne autour de la
nature, des livres, de la guerre, de la poésie, de la vie et de la mort. Le
tout autour d’un personnage principal dont le nom n’a pas été choisi au
hasard : Petrus, elfe et paradoxalement grand amateur de vin, peuple qui
pourtant ne boit que du thé, un thé gris parfois millénaire aux vertus
indéfinissables. Quand Petrus devient homme, c’est un rouquin parce sinon sa
vraie condition est celle d’un écureuil (oui vous avez bien lu) un peu
maladroit mais forcément attachant. C’est lui qui va être envoyé dans notre bas
monde car il est en guerre mais qui survivra à l’ultime bataille avec ce pont
reliant les deux systèmes vivants ?
Si
l’art de la guerre y est décrit avec maestria c’est une envolée de poésie qui
tourne autour des pages, c’est une aventure où l’ivresse des mots ne devient
jamais grise malgré la couleur du thé mais où flamboient les êtres dans toute
leur beauté et leurs mystères. C’est un hymne à la vie pour mieux accepter la
mort, c’est une ode au merveilleux pour mieux repousser la laideur belliqueuse,
un péan d’allégresse pour délivrer des maux, un cantique pour louer la nature
divine.
Muriel
Barbery ne séduit pas, ne charme pas, elle fait succomber sans prévenir le
lecteur porté par son écriture stratosphérique, par cette magie des personnages,
par cette fantaisie aux pays des songes. Seuls quelques sons proches d’une
mélopée mélancolique sur les destins et la vie offrent un pont entre l’irréel
et le sort réel de toute civilisation.
A
déguster sans modération, avec thé ou vin selon l’humeur, en regardant de temps
en temps le ciel qui peut rejoindre l’immensité créatrice de l’écriture et de
ses enchantements. Sans oublier l’originalité de sa forme. Du grand panache et
c’est un écureuil (ne marchant jamais sur sa queue) qui vous le dit.
« Le vin marie la noblesse de la
terre et les chroniques du ciel, les racines profondes des ceps et les grappes
éperdues de soleil, nul autre que lui ne conte mieux la saga du cosmos ».
« L’histoire a montré que
certains écureuils ont plus d’esprit que tous les lièvres réunis et qu’ils
savent endosser des fardeaux qui écraseraient plus d’un sanglier ».
« Les elfes sont moins enclins
que les hommes à agir sous l’empire de la peur car la tradition, chez eux, ne
s’oppose pas au progrès, ni le mouvement à la stabilité ».
« Il faut être en quelque façon
étranger au monde pour désirer l’inventer et obscur à soi-même pour vouloir
aller au-delà du visible ».
« C’est en traçant une ligne
d’encre qu’on fait jaillir le monde, c’est en croyant aux roses qu’on l’est
fait éclore ».
« La vie végétale est l’absolu de
l’existence, la communion intégrale de la nature avec elle-même. Le végétal
transforme tout ce qu’il touche en vie. Il métamorphose en corps vivant le
rayonnement du soleil ».
« Si l’univers n’est qu’un roman
en attente de ses mots, choisissons un récit où la salvation ne requiert pas la
torture, où la chair n’est ni coupable ni souffrante, où l’esprit et le corps
sont deux accidents d’une unique substance et où l’idiotie d’aimer vivre ne se
paye pas en châtiments cruels ».
Un étrange pays – Muriel Barbery –
Editions Gallimard – Février 2019-02-10 19
Livre lu dans le cadre du Prix Orange
du Livre 2019
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