dimanche 17 février 2019


Une noisette, un livre


 Un étrange pays

Muriel Barbery



 

Ouvrez un livre, doucement, et vous entrez dans un univers hors du temps, hors de l’espace, hors du visible pour pénétrer un invisible transparent avec un peuple de brumes, des elfes se transformant en animaux mais pouvant devenir plus humain que les humains quand ils débarquent chez le peuple de la terre.

De la naissance du Pavillon des Brumes 400.000 av. J.C. jusqu’au début du XX° siècle, c’est un voyage fantastique dans un au-delà imaginaire mais avec quelques atterrissages terriens en France, en Italie et en Espagne autour de la nature, des livres, de la guerre, de la poésie, de la vie et de la mort. Le tout autour d’un personnage principal dont le nom n’a pas été choisi au hasard : Petrus, elfe et paradoxalement grand amateur de vin, peuple qui pourtant ne boit que du thé, un thé gris parfois millénaire aux vertus indéfinissables. Quand Petrus devient homme, c’est un rouquin parce sinon sa vraie condition est celle d’un écureuil (oui vous avez bien lu) un peu maladroit mais forcément attachant. C’est lui qui va être envoyé dans notre bas monde car il est en guerre mais qui survivra à l’ultime bataille avec ce pont reliant les deux systèmes vivants ?

Si l’art de la guerre y est décrit avec maestria c’est une envolée de poésie qui tourne autour des pages, c’est une aventure où l’ivresse des mots ne devient jamais grise malgré la couleur du thé mais où flamboient les êtres dans toute leur beauté et leurs mystères. C’est un hymne à la vie pour mieux accepter la mort, c’est une ode au merveilleux pour mieux repousser la laideur belliqueuse, un péan d’allégresse pour délivrer des maux, un cantique pour louer la nature divine.

Muriel Barbery ne séduit pas, ne charme pas, elle fait succomber sans prévenir le lecteur porté par son écriture stratosphérique, par cette magie des personnages, par cette fantaisie aux pays des songes. Seuls quelques sons proches d’une mélopée mélancolique sur les destins et la vie offrent un pont entre l’irréel et le sort réel de toute civilisation.

A déguster sans modération, avec thé ou vin selon l’humeur, en regardant de temps en temps le ciel qui peut rejoindre l’immensité créatrice de l’écriture et de ses enchantements. Sans oublier l’originalité de sa forme. Du grand panache et c’est un écureuil (ne marchant jamais sur sa queue) qui vous le dit.

« Le vin marie la noblesse de la terre et les chroniques du ciel, les racines profondes des ceps et les grappes éperdues de soleil, nul autre que lui ne conte mieux la saga du cosmos ».

« L’histoire a montré que certains écureuils ont plus d’esprit que tous les lièvres réunis et qu’ils savent endosser des fardeaux qui écraseraient plus d’un sanglier ».

« Les elfes sont moins enclins que les hommes à agir sous l’empire de la peur car la tradition, chez eux, ne s’oppose pas au progrès, ni le mouvement à la stabilité ».

« Il faut être en quelque façon étranger au monde pour désirer l’inventer et obscur à soi-même pour vouloir aller au-delà du visible ».

« C’est en traçant une ligne d’encre qu’on fait jaillir le monde, c’est en croyant aux roses qu’on l’est fait éclore ».

« La vie végétale est l’absolu de l’existence, la communion intégrale de la nature avec elle-même. Le végétal transforme tout ce qu’il touche en vie. Il métamorphose en corps vivant le rayonnement du soleil ».

« Si l’univers n’est qu’un roman en attente de ses mots, choisissons un récit où la salvation ne requiert pas la torture, où la chair n’est ni coupable ni souffrante, où l’esprit et le corps sont deux accidents d’une unique substance et où l’idiotie d’aimer vivre ne se paye pas en châtiments cruels ».

Un étrange pays – Muriel Barbery – Editions Gallimard – Février 2019-02-10 19

Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019


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