Une noisette, un livre
La transparence du temps
Leonardo Padura
A
l’aube de son soixantième anniversaire, Mario Conde (patronyme choisi au hasard
ou pas…) sombre dans une dépression et une mélancolie de senior confirmé. Il
n’a plus le goût à entreprendre quoi que ce soit, seuls son épouse et son chien
lui mettent un peu du baume au cœur. Mais l’appel d’un ancien camarade de
classe va lui faire retrouver une certaine jeunesse avec la course à l’adrénaline vécue dans son
précédent métier : policier. L’amant de Bobby a volé quantité d’objets
dont une vierge noire énigmatique.
Du
roman du départ, c’est un thriller historique qui commence avec quelques
pigments de géopolitique.
Mario
Conde est un personnage atypique, complètement fantasque qui n’a pas trouvé d’autre
appellation pour son chien que celui de « Basura », deuxième du nom
d’ailleurs, bien qu’il affectionne particulièrement son compagnon à quatre
pattes (le chien pas l’ex flic). Il est allergique aux armes et à toute
violence, grand lecteur il ne rêve que d’écriture. Bobby, l’ancien camarade est
aussi mystérieux que la vierge kidnappée : haut en couleurs il faut
s’équiper d’un détecteur de vérité pour arriver à partager le vrai du faux, le
faux du vrai voire même le faux du faux. Mais il est archi-vrai !
L’enquête
va devenir le théâtre de rencontres improbables de personnages dont on ne
confierait pas forcément un portefeuille même vide, et, une découverte de La
Havane dans toute son errance, du pire à, si j’ose l’écrire maladroitement, au
moins pire. Ville et pays baignent dans un éventail de désœuvrement, d’excès,
de misères morbides… Pourtant plane un parfum (pas celui des nombreux quartiers
où flotte un air pestilentielle et qui vous ferait prendre un mouchoir en
lisant les descriptions de l’écrivain) de mystère et surtout de démesure
ensorcelante.
Le
point essentiel du récit est évidemment autour de cette vierge noire, qui au
départ, est comparée à une statue créée à cuba. Mais l’esprit de la
« Moreneta » veille et ce sont de grands chapitres d’histoire
religieuse et romane qui magnifient progressivement cette transparence du
temps. Un sieur Barral va parcourir toutes les époques, de la guerre civile
espagnole aux templiers du XIII° siècle, de la chanson de Roland à Robert le
Diable, les batailles contre les Sarrasins et la ville sainte de Jérusalem. Des
siècles d’histoire avec ces sempiternels conflits religieux, entre néant et
absurdité mais où la foi reste pourtant un élément incontournable.
A
tous les amoureux de la Catalogne, venez gravir les pentes des Pyrénées en
compagnie de Leonardo Padura, venez escalader les montagnes qui rappellent
Montserrat et les légendes autour de ces vierges noires, couleur provenant
probablement d’une oxydation mais dont les origines remontent à la nuit des
temps et où, comme l’indique l’auteur, l’influence égyptienne ne serait pas
anodine, la déesse Isis ayant peut-être été une inspiratrice… divinités éternelles
pour une histoire sacrément bien louée !
« Conde alluma une
cigarette et reprit son observation du panorama délabré qui l’entourait. Il
pensa que les années ne pouvaient qu’accroître cette misère déjà dense, surtout
la pire de toutes : la misère humaine. Les visages des gens, qui lui
lançaient des regards de méfiance, étaient le miroir de leurs âmes et leurs
âmes étaient le fruit de leur milieu : la précarité extrême, décuplée au
cours des vingt dernières années d’une crise qui avait fauché le rêve d’une vie
meilleure à laquelle tant de gens aspiraient ».
« Te rends-tu
compte que la foi – la quête du bien et de la vérité qui n’admet pas
d’alternative -, manipulée, exacerbée, peut dissimuler la haine, déchaînée au
nom de Dieu, d’un prince ou d’une idée ? Que tant que nous chrétiens nous
tuons des musulmans, les musulmans tuent et tueront des chrétiens, et que les
uns et les autres nous allons bientôt nous entre-tuer devant cette ville et sur
cette terre que l’on dit sainte, et que nous continuerons à le faire pour les
siècles des siècles toujours eu nom de la foi, mais en réalité pour des
richesses et par goût du pouvoir ? »
La transparence du temps
– Leonardo Padura – Traduction : Elena Zayas – Janvier 2019
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