mercredi 6 février 2019


Une noisette, un livre


 La transparence du temps

Leonardo Padura




A l’aube de son soixantième anniversaire, Mario Conde (patronyme choisi au hasard ou pas…) sombre dans une dépression et une mélancolie de senior confirmé. Il n’a plus le goût à entreprendre quoi que ce soit, seuls son épouse et son chien lui mettent un peu du baume au cœur. Mais l’appel d’un ancien camarade de classe va lui faire retrouver une certaine jeunesse avec  la course à l’adrénaline vécue dans son précédent métier : policier. L’amant de Bobby a volé quantité d’objets dont une vierge noire énigmatique.
Du roman du départ, c’est un thriller historique qui commence avec quelques pigments de géopolitique.

Mario Conde est un personnage atypique, complètement fantasque qui n’a pas trouvé d’autre appellation pour son chien que celui de « Basura », deuxième du nom d’ailleurs, bien qu’il affectionne particulièrement son compagnon à quatre pattes (le chien pas l’ex flic). Il est allergique aux armes et à toute violence, grand lecteur il ne rêve que d’écriture. Bobby, l’ancien camarade est aussi mystérieux que la vierge kidnappée : haut en couleurs il faut s’équiper d’un détecteur de vérité pour arriver à partager le vrai du faux, le faux du vrai voire même le faux du faux. Mais il est archi-vrai !

L’enquête va devenir le théâtre de rencontres improbables de personnages dont on ne confierait pas forcément un portefeuille même vide, et, une découverte de La Havane dans toute son errance, du pire à, si j’ose l’écrire maladroitement, au moins pire. Ville et pays baignent dans un éventail de désœuvrement, d’excès, de misères morbides… Pourtant plane un parfum (pas celui des nombreux quartiers où flotte un air pestilentielle et qui vous ferait prendre un mouchoir en lisant les descriptions de l’écrivain) de mystère et surtout de démesure ensorcelante.

Le point essentiel du récit est évidemment autour de cette vierge noire, qui au départ, est comparée à une statue créée à cuba. Mais l’esprit de la « Moreneta » veille et ce sont de grands chapitres d’histoire religieuse et romane qui magnifient progressivement cette transparence du temps. Un sieur Barral va parcourir toutes les époques, de la guerre civile espagnole aux templiers du XIII° siècle, de la chanson de Roland à Robert le Diable, les batailles contre les Sarrasins et la ville sainte de Jérusalem. Des siècles d’histoire avec ces sempiternels conflits religieux, entre néant et absurdité mais où la foi reste pourtant un élément incontournable.
A tous les amoureux de la Catalogne, venez gravir les pentes des Pyrénées en compagnie de Leonardo Padura, venez escalader les montagnes qui rappellent Montserrat et les légendes autour de ces vierges noires, couleur provenant probablement d’une oxydation mais dont les origines remontent à la nuit des temps et où, comme l’indique l’auteur, l’influence égyptienne ne serait pas anodine, la déesse Isis ayant peut-être été une inspiratrice… divinités éternelles pour une histoire sacrément bien louée !

« Conde alluma une cigarette et reprit son observation du panorama délabré qui l’entourait. Il pensa que les années ne pouvaient qu’accroître cette misère déjà dense, surtout la pire de toutes : la misère humaine. Les visages des gens, qui lui lançaient des regards de méfiance, étaient le miroir de leurs âmes et leurs âmes étaient le fruit de leur milieu : la précarité extrême, décuplée au cours des vingt dernières années d’une crise qui avait fauché le rêve d’une vie meilleure à laquelle tant de gens aspiraient ».

« Te rends-tu compte que la foi – la quête du bien et de la vérité qui n’admet pas d’alternative -, manipulée, exacerbée, peut dissimuler la haine, déchaînée au nom de Dieu, d’un prince ou d’une idée ? Que tant que nous chrétiens nous tuons des musulmans, les musulmans tuent et tueront des chrétiens, et que les uns et les autres nous allons bientôt nous entre-tuer devant cette ville et sur cette terre que l’on dit sainte, et que nous continuerons à le faire pour les siècles des siècles toujours eu nom de la foi, mais en réalité pour des richesses et par goût du pouvoir ? »

La transparence du temps – Leonardo Padura – Traduction : Elena Zayas – Janvier 2019

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