Une noisette, une association
100
pour 1 en Bocage
« Et
si on accueillait dignement les réfugiés ? »
Partir. Non pas se sauver
mais partir. Parce que la peur finit par envahir tout son entourage, parce que
les blessures s’accumulent, dans l’esprit et la chair, parce que les bombes
pleuvent, parce qu’une dictature impose un régime où le mot liberté a été
supprimé du dictionnaire, parce que l’intolérance est devenue l’emblème d’une
idéologie, parce que…
L’humanité s’est construite
sur les déplacements. A l’origine, nous sommes tous des Africains. Puis les
civilisations se sont construites sur les migrations.
La notion d’accueil,
d’asile, remonte à l’antiquité. Venant du grec « asylon » (que l’on
ne peut piller) et du latin « asylum » (lieu inviolable), et dès le
début de la Grèce Antique le réfugié était protégé de ses ennemis.
Progressivement le droit évolue et divers textes viennent conforter la notion
d’asile, au départ religieux, puis laïque.
En 1793, l’article 120 de la
Constitution Française prévoit un asile pour les étrangers ayant été bannis de
leur pays ou ayant fuis pour absence de liberté. L’Europe du XX° siècle sera
marquée par des phénomènes migratoires colossaux : 1915 et le génocide
arménien, 1917 et la révolution bolchevique, les années 30/40 avec les régimes
hitlériens, mussoliniens et franquistes. Au XXI° siècle, cette même Europe doit
se souvenir de son passé et accueillir avec dignité les exilés du désespoir.
Des associations se
mobilisent dans tout l’hexagone pour offrir un toit à ces personnes déracinées,
meurtries comme un arbre auquel on aurait prélevé toute sa sève. Rencontre avec
des responsables de « 100 pour 1 en Bocage » (Deux-Sèvres) qui œuvre
pour toute personne à la recherche d’un refuge, d’une reconstruction de vie, et ce, quelles que soient les origines. Crée
en novembre 2016, elle a déjà pu offrir un logement à cinq familles grâce à la
générosité des donateurs, du travail des bénévoles, de l’aide des associations
partenaires. Au côté pratique, s’ajoute le côté pédagogique afin de
sensibiliser chaque habitant sur la richesse du partage des cultures.
Interview avec Bernard Arru, vice-trésorier de
« 100 pour 1 en Bocage » et co-fondateur de la communauté Emmaüs de
Mauléon et des Ateliers du Bocage.
Quelles
ont été les bases de la création de « 100 pour 1 » ?
C’est l’association Emmaüs,
et plus précisément Emmaüs Tours, qui désirait une nouvelle structure
complémentaire pour améliorer la qualité de l’accueil des familles de réfugiés.
Les 115 communautés Emmaüs s’appuient sur 3 piliers :
-
Les compagnons : SDF, anciens
prisonniers, réfugiés ;
-
Les responsables : pour organiser
l’ensemble des activités ;
-
Les bénévoles : une composante
essentielle
Après celle de Tours,
d’autres communautés ont adopté le concept de « 100 pou 1 » dont
celle de Châtellerault qui accueille actuellement une vingtaine de réfugiés.
Puis
c’est au tour du département des Deux-Sèvres de voir la création de « 100
pour 1 en Bocage » ? Oui et 3 éléments ont entrainé cette création :
-
La demande croissante d’accueil des réfugiés
en sachant que c’est l’un des fondamentaux d’Emmaüs d’accueillir les plus
souffrants ;
-
La décision d’une association citoyenne,
l’Atelier Mauléonnais, de mener une action vis-à-vis des réfugiés suite à une
conférence au printemps 2016 « Cap sur l’immigration », c’est à
l’issue de la réunion que la décision a été prise de lancer en Bocage
« 100 pour 1 » ;
-
Une réponse directe à un groupe de citoyens
argentonnais qui ont accueilli des réfugiés tchétchènes.
De fil en aiguille, ces 3
facteurs ont donné naissance à « 100 pour 1 en Bocage » avec l’aide
des collectifs (1) dont la paroisse Saint-Jean Paul II en Bocage, un soutien
particulièrement notoire.
Quels
sont les besoins de l’association ?
C’est on ne peut plus
simple, le besoin d’élargir au maximum le nombre de donateurs, avec 100 de plus
on peut accueillir dignement une famille.
Quel
est votre point de vue personnel sur des propos, que l’on entend parfois, qu’il
vaudrait mieux s’occuper des SDF français plutôt que des réfugiés et des
migrants ?
Nous somme attentifs à TOUT
le monde. Nous suivons le concept de l’Abbé Pierre qui était d’accueillir le
plus souffrant. Vouloir trier les pauvres est une attitude intolérable. Nous
sommes tous citoyens du monde et s’acharner à monter les uns contre les autres
est une démarche fascisante et pitoyable.
Quelle
est la perception de la pauvreté en France ?
Question intéressante car
elle permet de rappeler l’histoire particulière d’Emmaüs par rapport à la
pauvreté, celle d’une démarche conjointe avec les pauvres, de vivre avec ces
personnes, de les mobiliser, de ne pas s’apitoyer mais de les encourager à s’en
sortir. Les pauvres sont ainsi les propres acteurs de la sortie de leur misère
et encore davantage en se mobilisant pour les autres. Nous sommes très
précurseurs dans ce qu’on appelle l’insertion par l’économie.
Où
en est-on en France avec le statut de réfugié ?
Une grosse erreur a été
commise le 26 septembre 1991 avec la circulaire interdisant aux demandeurs
d’asile de travailler. Ce qui entraine automatiquement une plus grande
dépendance et des difficultés majorées quant à l’intégration. Ce ne sont pas
les conditions d’accueil qu’il faut durcir mais agir FERMEMENT sur les causes
des migrations (conflits, catastrophes climatiques, le viol comme arme de
guerre…).
L’une des revendications est
de respecter le droit international qui défend la libre circulation des hommes
et des femmes dans le monde entier. Si on respectait ce droit, qui ne concerne
que quelques privilégiés, les mafias et autres profiteurs de la misère
disparaitraient. En plus avec cette réglementation on empêche les gens d’arriver
mais aussi de retourner dans leur pays d’origine si la situation s’améliore, ce
qui est un comble ! Donc, militer pour un droit à la libre circulation
pour mettre fin aux conditions inhumaines de traversée et de survie.
Une
conclusion ? Tout le développement de l’humanité s’est construit sur les nombreuses migrations, ce qui a créé la richesse de nos civilisations.
Interview avec Norbert
Béalu, président de l’ARDDIB (2) et membre du collectif « 100 pour 1 en
Bocage »
Comment
est née l’ARRDIB ,
L’origine remonte en juin
2008 lorsqu’une famille sénégalaise était sous la menace d’une expulsion. L’une
des filles était amie avec la fille d’un gendarme et, à titre personnel, il ne
se voyait pas être obligé de venir retirer cet enfant de cette école . S’est créé un comité de
vigilance puis un statut officiel et similaire à l’ARRDI de Niort. Nos deux
objectifs sont clairs : la défense des droits des immigrés dans leurs
démarches et un plaidoyer pour une évolution positive du statut de l’étranger.
Et
votre adhésion à « 100 pou 1 en Bocage » était évidente ?
Oui parce que nous avons une
riche expérience de la rencontre avec des migrants. Je connais chaque
situation, chaque motivation qui n’est pas toujours que « conflictuelle »
mais aussi culturelle ou religieuse. Je pense notamment au sort des femmes…
Mais ce sont des situations complexes auxquelles il faut faire preuve de grande
discrétion car on aborde l’intimité des personnes.
Il
y a l’aide mais aussi un rôle pédagogique pour faire prendre conscience de la
misère migratoire et en même temps positiver sur la richesse apportée ?
J’ai créé avec mes collègues solidaires un
« Cercle du Silence », une réunion publique et régulière pour montrer
notre soutien aux migrants. Mais il y a tout de même une prise de parole, des
chorales, lecture de poèmes. C’est une façon de dire aux migrants qu’on pense à
eux et, également, d’envoyer un message positif, montrer que l’immigration
n’est pas une catastrophe, telle cette histoire en Calabre, un
« regain » du XXI° siècle où grâce aux immigrés un village renait. Ce
n’est pas de l’utopie, c’est la réalité.
Au
fil du temps, vous avez dû rencontrer des parcours incroyables, des histoires
tragiques mais certaines très belles également ?
C’est justement une
incroyable richesse que d’aller vers l’autre. J’ai en mémoire l’histoire de ce
jeune homme africain qui a été obligé de fuir de son pays pour sauver sa peau à
cause de l’absence totale de justice face aux expéditions punitives. Désormais,
après des dizaines de péripéties il vit en France et a fondé une famille.
Je mentionnais les cas
douloureux par rapport à la violence envers les femmes. Lors d’une mission de
coopération au Togo avec le programme « Wildlaf West Africa », j’ai
rencontré deux femmes exceptionnelles dans un petit village reculé (Klonou) qui
ne cessent de rassembler la population pour lutter contre les mariages précoces
et forcés. Le travail d’aide, de sensibilisation, se fait partout, en France
comme sur le terrain.
Quel
est le message que vous voudriez faire passer aux futurs donateurs de
« 100 pou 1 en Bocage » ?
Nous avons déjà réussi à
accueillir 5 familles mais d’autres sont en attente. Mais si chacun y met un
peu du sien, même à petite dose, nous arriverons à former une formidable chaine
de solidarité. J’en profite pour souligner que les réactions d’entraide que
nous avons sur le territoire du Bocage nous amènent à continuer notre travail,
par rapport à d’autres régions nous bénéficions d’une culture chrétienne à
tendance progressiste qui cultive la solidarité. Je le dis d’autant plus avec
objectivité que je suis de philosophie agnostique !
Une
conclusion ?
Justement, cette solidarité
rencontrée me motive pour continuer le combat. Accompagner les migrants, les
réfugiés est plus qu’enrichissant, mon souhait étant que chacune de ces
personnes blessées puissent retrouver le goût de la vie.
Interview avec Yvonne Bodet, responsable du collectif de l’Argentonnais de « 100 pou 1 en Bocage » et membre de CCFD Terre Solidaire
Pourquoi
cet engagement personnel envers les réfugiés ?
Même si c’est dans mon
esprit depuis toujours d’aider celui qui souffre, les premiers pas viennent de
mes filles Marie et Guénaelle . Marie est justement là et va vous en parler.
Marie :
Tout part de l’actualité et de cette terrible guerre en Syrie avec ce sentiment
d’impuissance. J’ai laissé à disposition une chambre pour l’association
« Welcome ». Puis au fur et à mesure, une envie de m’engager comme
citoyenne pour suppléer aux manques des gouvernements. J’ai donc créé un
collectif où j’habite (Beaugé dans le 49). Dans le même temps, ma sœur
Guénaelle a ouvert sa porte à une famille d’albanais que j’ai ensuite pris en
charge avec toutes les difficultés administratives que vous pouvez imaginer. Quant
à Maman, déjà très impliquée dans son secteur D’Argenton Les vallées, elle a
accueilli aussi une famille d’albanais puis de tchétchènes. Nous sommes une
famille unie dans la solidarité pour les autres.
Yvonne :
J’étais effectivement déjà membre et correspondante pour CCFD Terre Solidaire
mais là j’ai frappé à toutes les portes possibles pour encourager d’autres
personnes à me suivre. J’ai ainsi reçu le soutien du Maire de la commune et le collectif
de « 100 pour 1 en Bocage » a pris forme avec l’accueil de cette
famille tchétchène. C’est un formidable travail d’équipe où le mot d’ordre est
celui de la solidarité.
En
tant que responsable d’un collectif, quels sont vos rôles ?
S’occuper de la famille,
préparer un budget qui sera approuvé lors du Conseil d’Administration, donner
des cours de français, établir les liens avec l’Assistance Sociale, créer un
réseau de jardinage pour l’entraide, effectuer les démarches et le suivi de la
scolarisation des enfants. C’est un énorme travail mais c’est aussi très
motivant de voir que des personnes nous rejoignent afin d’apporter leurs
propres compétences pour accueillir le mieux possible ces personnes en
détresse.
Vous
semblez, comme vos autres « collègues », extrêmement motivée dans la
poursuite de vos actions ?
Oui car il y a une beauté
qui s’en dégage. Cette énorme participation des uns et des autres, et,
s’apercevoir qu’il y a de la générosité et de l’engagement autour de soi.
J’aimerais convaincre d’autres personnes à venir rejoindre cette association,
d’ici ou d’ailleurs, car elle a la particularité d’être soutenue par d’autres
associations et nous formons ainsi une véritable toile citoyenne et
responsable.
Une
conclusion ?
C’est un combat difficile à
mener mais il faut avancer avec ses convictions et c’est en accumulant toutes
ces petites gouttes d’eau que l’on va arriver à transformer la sécheresse des
âmes en un immense océan de renouveau. Continuer en positivant et montrer que
les belles choses et initiatives existent aussi. Sans jamais avoir peur de
l’autre.
Notre association « Cent
pour un en Bocage » vient en aide aux réfugiés qui sont déjà sur notre
territoire en leur permettant d'avoir un toit, les accompagne dans leurs
démarches et leurs besoins dans la vie quotidienne grâce aux partenariats
d’autres associations humanitaires (Secours Catholique, Secours Populaire,
Emmaüs...).
Nous sommes fiers que la
France, à travers nos bénévoles et donateurs, soit un lieu où l'on accueille
dignement les réfugiés.
Soyons tous des gouttes
d'eau dans notre fleuve de l'espoir en contribuant chacun à sa hauteur.
« Etranger, tu n’es pas
un homme vulgaire ni privé de raison (…),
puisque tu es dans cette île, tu ne manqueras ni de vêtements, ni de tous les
secours que l’on doit aux malheureux voyageurs qui viennent implorer notre
pitié. Je t’enseignerai le chemin de la ville et je te dirai le nom du peuple
qui l’habite. (…) Pourquoi fuyez-vous à la vue de cet étranger ?
Pensez-vous donc que ce héros soit un de nos ennemis ? Non. »
Nausicaa
– Odyssée, chant VI – Homère
(1) Liste
des associations partenaires : l’Atelier Mauléonnais, CCFD Terre Solidaire,
Paroisse Saint-Jean Paul II en Bocage, Secours Catholique, Voir plus L’Ouin, Communauté
Emmaüs.
(2) ARDDIB
– Association pour la Reconnaissance et la Défense des Droits des Immigrés en
Bocage.
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