dimanche 17 septembre 2017


Une noisette, un livre

 

Les désordres du monde – Walter Benjamin à Port-Bou

Sébastien Rongier


 


Comment rencontre-t-on un auteur ? En en lisant un autre. Et par cette lecture, surgissent des ombres, des fantômes peut-être. Ceux de Baudelaire, de Proust, de Klee.
Fasciné par Charles Baudelaire, le narrateur découvre le philosophe, critique d’art et traducteur Walter Benjamin. Il veut en savoir plus, examiner son parcours, et, par hasard se retrouve dans la petite localité espagnole de Port-Bou. Port-Bou, poste frontière dans la rebelle Catalogne, dernier lieu d’existence du philosophe allemand qui a mis fin à ses jours un soir de septembre 1940. En plein conflit mondial, dans une Europe qui n’existe plus et qui peut-être n’existera plus jamais. Walter Benjamin est désorienté, abattu. Souffrant dans son corps, son esprit ne suit plus, il est rejeté comme des centaines d’autres réfugiés allemands, espagnols, interné puis libéré grâce au soutien de quelques amis fidèles, il craint d’être définitivement embarqué vers la mort. Déchu, apatride, il n’a plus rien. Plutôt que d’aller à la faucheuse, il préfère la faire venir…

C’est le récit magistralement écrit par Sébastien Rongier qui nous permet de retracer le sentiment de Walter Benjamin. Par une plume particulièrement saisissante, on revit les derniers instants de cette personnalité allemande, de sa fuite d’Allemagne jusqu’à la frontière franco-espagnole, en passant par Paris et Marseille. Mais chaque paragraphe évoquant le monde d’hier  est en fait une vitre qui reflète le monde d’aujourd’hui. Avec ses désordres. Ceux de la montée de l’extrémisme, sur les camps d’internement, sur les idéologies belliqueuses, sur l’accueil des réfugiés (un écho plus que brutal), sur le statut des apatrides avec le rappel de la décision du Maréchal Pétain. Car forcément il est question du régime de Vichy dans toute son ignominie.
Et puis il y a la visite de Port-Bou. Oh rien de touristique. Non, que de l’authentique. Sur la vie qui passe, où chacun repasse quand d’autres trépassent. Une réflexion sur le changement d’une ville au gré de l’évolution d’une société, sur l’abolition (relative) des frontières, sur l’absurdité des systèmes, sur la fragilité de la vie. La vie et son issue, celle d’un cimetière, en hauteur où les morts ne sont pas enterrés mais dans des tiroirs de pierre, parfois avec l’impression que les morts sont plus vivants que ceux qui franchissent ce lieu de repos éternel… quand ils les franchissent… Walter Benjamin n’a pas de tombe, pas de corps retrouvé. Une fosse commune, anonyme et synonyme de double mort. Mais il y « Passagen » un monument érigé en la mémoire du philosophe et créé par Dani Karavan. Là, surgit « Namenlosen » et la pensée de Benjamin « C’est bien plus difficile d’honorer la mémoire des anonymes que celle des personnes célèbres. La construction historique est consacrée à la mémoire de ceux qui n’ont pas de nom ».

Un concept de l’histoire tel un ange pris dans une tempête…
Les désordres du monde – Sébastien Rongier – Editions Pauvert – Septembre 2017

Paul Klee - Angelus novus

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