Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 12 février 2018


Une noisette, un livre

 

 

Le temps des hyènes

Carlo Lucarelli


 


« Il n’y a rien de plus trompeur que l’évidence »… ou en anglais dans le texte « There is nothing so unnatural as the commomplace ». Ou bien encore «  keem fulut neghèr zeybahriawi yelèn » en tigrigna, la langue d’Obga, le Sherlock Holmes abyssin du capitaine des carabiniers Colaprico, tous les deux enquêteurs en terre erythréenne  pendant la domination italienne.

Tout commence par une épidémie de suicides aux branches d’un sycomore, arbre dont le bois était réservé à la confection des cercueils des pharaons car il symbolisait la sécurité et la protection pour les âmes d’outre-tombe. Trois indigènes sont retrouvés pendus dans l’indifférence générale. L’attention se réveille lorsqu’on retrouve peu après le marquis Sperandio au même endroit et dans la même position macabre.

S’enchaine une enquête trépidante où l’on ne s’ennuie pas une seconde entre des femmes mystérieuses, une sorcière égorgée, des hyènes peu avenantes, un chien plus que féroce, des aventuriers peu scrupuleux, un militaire passionné de photographie et une mafia locale importée.

Si la forme et l’écriture sont parfois déroutantes (accumulation de « putain » et autres jurons), le fond les fait vite oublier. Car derrière l’intrigue captivante se glisse une savante réflexion sur le temps des colonies et ses excès en tout genre. Un passage auquel on ne s’attend absolument pas est celui de l’incursion d’un français aventurier qui raconte sa rencontre avec Arthur Rimbaud du temps de sa désastreuse tentative d’armer Menelik II (le négus du Shewa). 

Ce roman noir à la sauce italienne, pimenté de saveurs africaines, est un véritable menu de résistance : une entrée qui met en appétit, un plat principal très copieux avec des ingrédients qui se superposent les uns après les autres mais ajoutés avec dextérité et légèreté pour éviter les lourdeurs de la digestion « thrillesque » et enfin un succulent dessert digne de la surprise d’un chef ! Un vrai régal, tant, que même le dernier « putain » vaut de l’or ;-).

A noter, l’excellent travail du traducteur et une opportunité pour rappeler que celui-ci a un rôle indispensable car il permet à la littérature de devenir universelle.

Le temps des hyènes – Carlo Lucarelli – Traduction : Serge Quadruppani – Editions Métailié – Février 2018

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très jolie chronique! J'ai beaucoup apprécié ce mélange des langues dans ce polar, et je lui ai trouvé beaucoup de charme à ce décor...;)

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