Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 29 avril 2019


Réparer les femmes

Un combat contre la barbarie

Dr Denis Mukwege

Dr Guy-Bernard Cadière




Le Congo n’a pas connu de paix réelle depuis plus de deux siècles et depuis la fin des années 90 c’est une guerre, voire un quasi génocide qui se déroule dans cette partie du continent africain. Contrairement à d’autres conflits, pas de charniers, pas d’images de combats, ce sont des milliers de tombes solitaires, des exactions, des massacres à petite dose mais dont le résultat est assourdissant : quatre millions de déplacés, six millions de morts et des milliers de vies anéanties par une arme devenue redoutable : le viol ! Des centaines de milliers de femmes ont le corps brisé, leur féminité envolée car non seulement il y a viol mais tout est étudié pour que l’appareil génital féminin soit entièrement détruit. Double peine pour ces femmes, ces jeunes filles, ces nourrissons (oui vous lisez bien) car après être victime des pires des cruautés, ces êtres sont rejetés très souvent par les autres car plus aucune procréation ne sera possible.

Au milieu de ce pandémonium, un homme extraordinaire a décidé de vouer sa vie à non seulement réparer le corps des femmes mais aussi de les accompagner dans leur renaissance, un programme médical holistique pour apporter toute l’humanité dont ces victimes ont besoin. Il s’appelle Denis Mukwege. Menacé, plusieurs fois la cible de tentatives d’assassinat ou d’intimidation, il continue son chemin et nombre de personnes l’ont rejoint dans ce combat de tous les instants. Parmi eux, un autre médecin, Guy-Bernard Cadière, l’un des précurseurs de la chirurgie par laparoscopie (appelée également cœlioscopie). Il a établit un hôpital à Bukavu qui fait figure de précurseur tant pour les soins fournis que pour toute la logistique mise en place pour accompagner chaque patiente, c’est-à-dire, non seulement l’opérer mais lui proposer un parcours où elle pourra renaître de l’obscurité, certaines sont d’ailleurs devenus infirmières. Car il ne suffit pas de soigner, il faut apporter un soutien psychologique et matériel. Denis Mukwege est non seulement un médecin des corps mais aussi un médecin des âmes.

Ce nouveau livre permet de découvrir à nouveau le travail plus que méritoire du médecin congolais mais aussi de s’imprégner de ses convictions, lui l’homme qui ne recule devant rien et dont le discours est sans ambages. Il raconte brièvement son histoire mais s’attarde surtout sur son métier et sur la géopolitique de son pays. Car cette guerre que l’on ne nomme pas est le fruit de sombres ententes entre multinationales, dirigeants nationaux et internationaux… et bandes armées : tous veulent au moindre coût toute la richesse du sous-sol qui regorge de minerais dont le fameux coltan qui est devenu indispensable pour la fabrication de tous les équipements électroniques. Mais pour s’accaparer de ce nouvel or noir, on intimide la population du Kivu (région du Congo où il est le plus présent), on réduit les travailleurs en esclaves des temps modernes, on sème la peur. Et le meilleur moyen est de cibler les femmes pour les réduire au néant et au rejet. Mais les hommes sont aussi victimes de ces « dragonnades » car s’ils résistent ils sont exécutés dans des atrocités sans nom.

Si Guy-Bernard Cadière se destinait au départ pour la musique (il est saxophoniste), l’idée de se consacrer à la médecine a pris le dessus et surtout l’humanitaire ; il a été, entre autres, au Cambodge sous la bannière de Médecins sans frontières, puis il a rejoint au début du XXI° siècle son collègue lors d’opérations communes à l’hôpital de Panzi, épaulé d’ailleurs par son fils. Guy-Bernard Cadière sait parfaitement ce que lutter pour sa propre vie signifie, il a été atteint d’une leucémie et après une allogreffe il a retrouvé progressivement la voie de la santé. Des parcours qui forcent l’admiration.
Un livre incontournable pour essayer de sensibiliser au maximum le monde sur ces crimes de guerre qui, hélas, sont présents dans d’autres parties du globe. Ces médecins, et l’ensemble du personnel qui œuvrent à l’hôpital de Panzi doivent recevoir le maximum de soutien et d’encouragements, ces derniers sont bien faibles au niveau des hautes instances internationales, l’actualité de ces derniers jours le rappelant : les Etats-Unis, la chine, la Russie ont vidé de sa substance le projet de l’ONU d’un tribunal pour les viols comme armes de guerre.
Pourtant, quoi de plus noble que d’apaiser la souffrance (souffrance extrême vu les sévices horribles) de ces femmes, de ces petites filles, d’un peuple. Et quoi de plus beau que de permettre une renaissance après une descente aux enfers. Les sourires retrouvés de ces femmes en disent long, très long sur l’amour du prochain porté par ces médecins héros.

« Se limiter à l’essentiel. Ne pas perdre son temps avec la petitesse, la rancœur, la jalousie, la vengeance ».

« Ne faites pas médecine si vous ne savez pas aimer les malades ».

« Denis Mukwege a mis sur pied dès 2006 des équipes mobiles. Armées d’un immense courage et au mépris du danger, elles se rendent dans les villages isolés pour rencontrer les femmes, les inciter à venir se faire soigner à Panzi. Parfois, elles croisent aussi des victimes isolées sur la route ou en rase campagne. Souvent, c’est l’odeur des infections du cloaque qui leur permettent de les identifier. Partout où elles passent, ces équipes mobiles apportent des solutions et ressuscitent l’espoir ».

« Une situation comme celle du Kivu doit nous faire réfléchir : voulons-nous de ce monde ? Contrôlé par la finance au mépris de la vie humaine ? »

Réparer les femmes – Denis Mukwege / Guy-Bernard Cadière – Editions Mardaga – Avril 2019

Quelques liens
Fondation Panzi : http://fondationpanzirdc.org/
Le site de l’association créée par Céline Bardet pour lutter contre les violences sexuelles dans les conflits : https://www.notaweaponofwar.org/
Foundation Denis Mukwege : https://www.mukwegefoundation.org/

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