Une noisette, un livre
Amour propre
Sylvie Le Bihan
Amour propre, une lecture mettant
en lumière une femme qui marche avec des ombres, l’ombre de sa mère qui a
quitté le foyer familial peu après sa naissance et l’ombre d’un écrivain
italien, seule jonction énigmatique avec sa génitrice :
Curzio Malaparte, de son vrai nom Kurt Erich Suckert. La villa à Capri de
l’auteur de « La peau » rendue célèbre par le film « Le
Mépris » de Jean-Luc Godard » va être le lieu d’une fuite mais aussi
peut-être l’espoir d’une renaissance.
Giulia
est maman, trois enfants sont nés d’une union assez éphémère avec son
compagnon. Elle ne voulait pas d’enfants mais le destin en a décidé autrement,
notamment face à la crainte de ne pas être considérée comme une femme, une
vraie femme qui donne la vie. Sa fille et ses deux fils ont grandi et vont
pouvoir bientôt s’émanciper et Giulia attend ce moment avec impatience afin de
pouvoir vivre enfin pleinement, sans se sacrifier davantage. Elle aime ses
enfants mais parfois elle doute, regrette mais n’ose l’avouer étant donné le
politiquement correct de rigueur.
Elle
décide néanmoins, grâce à un contact tombé du ciel, de partir pour Capri afin
d’écrire son livre sur Malaparte et peut-être de tenter de comprendre pourquoi
sa mère semblait si attachée à cet écrivain, tout ce qui lui reste d’elle est un
de ses livres…
Sur
place elle devra affronter l’austérité des deux gardiens du temple mais
rencontrera Maria, celle qui a connu Curzio, qui a mis à sa disposition la
villa et qui peut l’aider dans ses recherches, et, un chat qui ne doit pas être
négligé dans l’histoire. Dans le bestiaire, bien se rappeler du fidèle
compagnon de Malaparte Febo, nom que Giulia donnera à son propre chien.
Aux
sons d’accents « malapartiens » et des effluves méditerranéennes,
Sylvie Le Bihan signe un roman époustouflant, tant par la beauté de l’écriture,
les descriptions dignes d’un orfèvre livresque, les diverses réflexions sur la
féminité et la maternité. Sans aucune langue de bois (dixit un écureuil
arboricole) elle suit la trace de Curzio Malaparte qui n’hésitait pas à déclamer
toute la franchise du cœur. Aucune leçon, juste un point de vue méritoire sur
la sempiternelle normalité des êtres qui se doit d’être suivie pour ne pas être
propulsé dans les enfers de l’indignation. Pourtant, qui peut se permettre de
juger ? Qui peut se permettre de condamner une parole, une attitude ?
Comment peut-on émettre une opinion quand l’intimité n’appartient qu’à la
personne elle-même ?
Sans
omettre ensuite la difficulté d’être des parents, mère ou père, dans le XXI° siècle
des réseaux sociaux où tout tourbillonne plus vite que les minutes, où le
moindre petit écart devient une tragédie, où la parole de l’écran masque voire
anéantit celle de ceux qui nous entourent.
Un
roman de 2019 que j’oserai pourtant qualifier d’antique dans toute la noblesse
du terme, parce que le parcours de Giulia est une odyssée de l’âme. Ulysse
revêt des habits féminins pour affronter les secousses de la vie, les méandres
d’une société parfois démoniaque ; Capri devient Ithaque et un retour (que
l’on devine progressivement au fil des pages) achève une tapisserie
délicatement brodée sur les errances des corps, des envies, des tentations, des
abandons et de l’amour.
Avec
en prime, le miroir d’une personnalité de l’une des plus importantes figures
littéraires italiennes, trop souvent caricaturée parce que le paradoxe reste
souvent incompris.
« Je me suis
construite dans l’ombre d’un fantôme, dans le silence d’une dialogue rêvé, j’ai
pris ma mère à témoin à chaque étape de ma vie, je lui racontais mes échecs et
mes succès, son absence me forçait à me relever ».
« Loin du mutisme
de mes garçons, j’avais trouvé une source de joie, j’étais en chemin pour
renouer avec mon passé. Mon père avait raison, c’était une mère que je
cherchais à travers ce voyage, non pas aprce qu’elle m’avait abandonnée, mais
seulement parce qu’elle m’avait oubliée ».
« Une île c’est un
détachement, la rupture d’un continent, c’est une sentinelle d’une guerre
oubliée ».
Amour propre – Sylvie Le
Bihan – Editions JC Lattès – Février 2019
Livre lu dans le cadre
du Prix Orange du Livre 2019
(Comme ce duo félin est mentionné dans le livre, sachons aussi rire un peu, miaouuuu)
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