Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 4 avril 2019


Une noisette, un livre


 Amour propre

Sylvie Le Bihan




Amour propre, une lecture mettant en lumière une femme qui marche avec des ombres, l’ombre de sa mère qui a quitté le foyer familial peu après sa naissance et l’ombre d’un écrivain italien, seule jonction énigmatique avec sa génitrice : Curzio Malaparte, de son vrai nom Kurt Erich Suckert. La villa à Capri de l’auteur de « La peau » rendue célèbre par le film « Le Mépris » de Jean-Luc Godard » va être le lieu d’une fuite mais aussi peut-être l’espoir d’une renaissance.

Giulia est maman, trois enfants sont nés d’une union assez éphémère avec son compagnon. Elle ne voulait pas d’enfants mais le destin en a décidé autrement, notamment face à la crainte de ne pas être considérée comme une femme, une vraie femme qui donne la vie. Sa fille et ses deux fils ont grandi et vont pouvoir bientôt s’émanciper et Giulia attend ce moment avec impatience afin de pouvoir vivre enfin pleinement, sans se sacrifier davantage. Elle aime ses enfants mais parfois elle doute, regrette mais n’ose l’avouer étant donné le politiquement correct de rigueur.
Elle décide néanmoins, grâce à un contact tombé du ciel, de partir pour Capri afin d’écrire son livre sur Malaparte et peut-être de tenter de comprendre pourquoi sa mère semblait si attachée à cet écrivain, tout ce qui lui reste d’elle est un de ses livres…

Sur place elle devra affronter l’austérité des deux gardiens du temple mais rencontrera Maria, celle qui a connu Curzio, qui a mis à sa disposition la villa et qui peut l’aider dans ses recherches, et, un chat qui ne doit pas être négligé dans l’histoire. Dans le bestiaire, bien se rappeler du fidèle compagnon de Malaparte Febo, nom que Giulia donnera à son propre chien.

Aux sons d’accents « malapartiens » et des effluves méditerranéennes, Sylvie Le Bihan signe un roman époustouflant, tant par la beauté de l’écriture, les descriptions dignes d’un orfèvre livresque, les diverses réflexions sur la féminité et la maternité. Sans aucune langue de bois (dixit un écureuil arboricole) elle suit la trace de Curzio Malaparte qui n’hésitait pas  à déclamer toute la franchise du cœur. Aucune leçon, juste un point de vue méritoire sur la sempiternelle normalité des êtres qui se doit d’être suivie pour ne pas être propulsé dans les enfers de l’indignation. Pourtant, qui peut se permettre de juger ? Qui peut se permettre de condamner une parole, une attitude ? Comment peut-on émettre une opinion quand l’intimité n’appartient qu’à la personne elle-même ?
Sans omettre ensuite la difficulté d’être des parents, mère ou père, dans le XXI° siècle des réseaux sociaux où tout tourbillonne plus vite que les minutes, où le moindre petit écart devient une tragédie, où la parole de l’écran masque voire anéantit celle de ceux qui nous entourent.


Un roman de 2019 que j’oserai pourtant qualifier d’antique dans toute la noblesse du terme, parce que le parcours de Giulia est une odyssée de l’âme. Ulysse revêt des habits féminins pour affronter les secousses de la vie, les méandres d’une société parfois démoniaque ; Capri devient Ithaque et un retour (que l’on devine progressivement au fil des pages) achève une tapisserie délicatement brodée sur les errances des corps, des envies, des tentations, des abandons et de l’amour.
Avec en prime, le miroir d’une personnalité de l’une des plus importantes figures littéraires italiennes, trop souvent caricaturée parce que le paradoxe reste souvent incompris.

« Je me suis construite dans l’ombre d’un fantôme, dans le silence d’une dialogue rêvé, j’ai pris ma mère à témoin à chaque étape de ma vie, je lui racontais mes échecs et mes succès, son absence me forçait à me relever ».

« Loin du mutisme de mes garçons, j’avais trouvé une source de joie, j’étais en chemin pour renouer avec mon passé. Mon père avait raison, c’était une mère que je cherchais à travers ce voyage, non pas aprce qu’elle m’avait abandonnée, mais seulement parce qu’elle m’avait oubliée ».

« Une île c’est un détachement, la rupture d’un continent, c’est une sentinelle d’une guerre oubliée ».

Amour propre – Sylvie Le Bihan – Editions JC Lattès – Février 2019

Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019












(Comme ce duo félin est mentionné dans le livre, sachons aussi rire un peu, miaouuuu)


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