Une noisette, un livre
La mer monte
Aude Le Corff
« La
mer monte en accéléré, elle gronde autour de moi, quelques embruns se déposent
sur mon visage, les continents sont de plus en plus petits, des femmes et des
hommes effarés se regroupent à mes côtés au milieu d’une île et, à la fin, la
mer est partout ».
Cette
phrase peut résumer ce qu’est devenue notre planète terre en 2042. Aude Le
Corff signe un roman d’anticipation mais qui sous certains aspects nous semble
terriblement proche. Des étés torrides, des refroidissements soudains, des îles
ont disparues mais la transition écologique a été assurée pour assurer un
bien-être XXL aux habitants : tout est programmé, connecté, des robots
suivent vos moindres et fais et gestes, les immeubles sont dotés de fermes
verticales, la sécurité est assuré par des colibris (qui peuvent à tout instant
vous piquer et vous envoyer, disons au frais (pour le meilleur) ou en Guyane
(pour le pire car le bagne a été ouvert à nouveau), les drones assurent tous
vos services, les poupées gonflables sont d’une technologie à faire grimper aux rideaux, les animaux de
compagnie ont des poils rafraichissants, et ainsi de suite. Tout pour offrir
une sérénité dans le meilleur des mondes. Sauf qu’une angoisse vous serre à la
gorge, un monde stérile où aucune folie n’est possible, ou tout doit avancer
droit, où chaque être est surveillé, orienté ; tout va vite, très vite.
En
parallèle, ce sont deux personnages qui se racontent. Lisa et Laure. La fille
par sa propre narration et la mère par son journal intime. Les liens entre
elles n’ont jamais été fusionnels et Lisa a souffert des nombreuses absences de
sa mère et de son attitude parfois brusque. Pourquoi ? Très vite on
apprend qu’une rupture amoureuse a marqué à vie sa génitrice mais avec une
intensité qui semble étrange. Lisa va rassembler toutes les options possibles
pour enfin qu’une lumière puisse éclairer ce mystère.
C’est
dans cette quête de la vérité que l’auteure Aude Le Corff invite le lecteur en
le propulsant dans un futur relativement proche et qui pose les questions à la
fois sur le problème de l’écologie et les dérives d’une démocratie ultra
connectée et sécurisée, mais sans approche politique ou géopolitique comme dans
d’autres romans du même genre. C’est ingénieux de mettre en parallèle une
histoire personnelle et une histoire collective, les deux ayant le même effet
dévastateur : un drame familial tout comme une catastrophe naturelle peut
amener des blessures irrémédiables.
S’ajoutent
une écriture aussi légère qu’une plume au vent et précise comme la trajectoire
d’un drone et un ton non sans humour qui permet de garder les pieds sur terre
avant qu’un « écureuil bleu en blouse blanche » s’apprête à vous
sermonner pour un comportement non réglementaire…. Hé oui…
Ah,
j’allais oublier une noisette, le « souvenir ému des perruches de
Barcelone », ce petit détail qui confirme toute la sensibilité d’un
écrivain.
« La vue est
spectaculaire, à défaut d’être belle : des nuées de drones de toutes
tailles vrombissent dans l’air du soir au-dessus d’une mer de toits blancs, de
panneaux solaires, de tours végétales, de réservoirs d’eau de pluie,
d’éoliennes miniatures, de terrasses qui forment des oasis perchées dans la
ville scintillante ».
« J’ai beaucoup
d’affection pour les nostalgiques qui lisent un roman papier dans le train,
ignorant les regards culpabilisateurs(…) J’ai besoin de sentir le papier, d’une
couverture à contempler ».
« On croira
contempler la mer ou caresser un chat alors que ce ne sera qu’une
illusion ».
La mer monte – Aude Le
Corff – Editions Stock – Mars 2019
Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019
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