jeudi 11 avril 2019


Une noisette, un livre


 La dédicace

Leïla Bouherrafa




Dédicace : hommage qu’un auteur fait de son œuvre à quelqu’un par une inscription imprimée en tête de l’ouvrage. Voilà pour la définition du Larousse.
Pour le premier roman de Leïla Bouherrafa, c’est le socle de son histoire, celle d’une jeune auteure qui doit trouver impérativement dans les soixante-douze heures (j’aurais pu mettre trois jours mais visuellement ça parle moins) à qui dédier son livre. Seul problème, elle ne connaît réellement personne : avec sa mère c’est un peu du « je t’aime moi non plus », des ami(e)s inexistant(e)s, des amants aussi éphémères que la durée d’un rapport sexuel sans amour, le tout dans un Paris au cinquante nuances de gris orienté vers le cendré profond.

La base est fixée. Pour les ornementations, l’écrivaine s’est transformée dans un clonage entre Grumpy et le Schtroumpf grognon et qui n’a rien trouvé d’autre que de donner comme pseudonyme de lettres à son héroïne le doublement du nom du bichon maltais du cinquième étage : Billie. On n’ose imaginer si le chien s’était appelé Paf ou Pouf !

Restent les ingrédients. Ils sont dans le registre des abonnés absents (et pas comme le numéro de téléphone d’une certaine Véronique qui devient le fil fixe de l’itinérance littéraire) et le jeu consiste à fabriquer un plat judicieusement mijoté avec rien. Le résultat est étonnant, curieusement très consistant, savoureux, fumant (et pas seulement pour les cigarettes consumées pendant la fabrication), aucunement indigeste et ce malgré les nausées récurrentes de la protagoniste qui finit par avoir un haut le cœur aussi tenace qu’un as de pique voulant l’emporter sur son confrère laissé sur le carreau.

Entre une conversation avec les putes, les descriptions loufoques des habitants de son immeuble, les errances sur l’asphalte parisien, une consultation médicale et les petites pointes lancées ici et là sur les travers des âmes humaines, c’est quasiment un tour de magie que de partir de rien et d’arriver à tout (même à créer une ligne directe entre Paris et Brive-la-Gaillarde depuis la Gare Montparnasse).

C’est drôle, caustique, cynique mais jamais méchant. Juste quelques petites baffes bien envoyées pour laisser le lecteur dans un état de vigilance permanent. Une sacrée façon de décrire les tourments de la solitude, du piétinement (mot pas choisi au hasard) permanent.  Mais c’est également une narration touchante avec un dernier acte tout en délicatesse.

« Alors que mes pas battaient le pavé, à mesure qu’il n’y avait plus ni ciel ni putes pour retenir mon attention, tout se mélangeait dans ma tête, l’odeur réelle de l’agrume à celle fantasmée de la nicotine, et c’est ainsi que j’en suis venue à me demander si j’avais un prénom de pute ».

« Leurs dos étaient identiques si bien que j’avais du mal à les distinguer ».

« L’heure et quart que dura la conférence est passée à une vitesse fulgurante. Les dix dernières minutes, la conférence a fini par tourner complètement en rond. C’est comme si nous avions pressé le citron jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Même les pépins avaient disparu ».

La dédicace – Leïla Bouherrafa – Allary Editions – Janvier 2019

Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019



1 commentaire:

eimelle a dit…

ça a l'air assez particulier, à voir à l'occasion!

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