jeudi 23 août 2018


Une noisette, un livre 


Les nougats

Paul Béhergé




Gourmandise quand tu nous tiens ! Ouvrir un livre qui a pour titre « Les nougats », est un plaisir de fin gourmet, s’imaginer que les pages sont caramélisées, les lignes dansant sur des noisettes. Tentation, tentation…
Bing ! On redescend de son arbre, car tout commence comme dans une confiserie où on aurait glissé un éléphant, ex-vendeur en porcelaine reconverti en spectre fantôme… Voyez le genre… On assiste soudainement à un match de foot où le gardien de but, vêtu d’un imperméable (on ne sait jamais, parfois les coups pleuvent) se concentre sur les cailloux de la pelouse (des galets sur une pelouse ça tombe forcément à pic) tout en fouillant dans ses poches à la recherche de ses nougats chéris… ce n’est pas tous les jours qu’on aura la chance d’être spectateur d'une telle compétition d’anthologie !

Mais revenons à la source du roman, en essayant d’être aussi limpide que l’eau claire, même si la situation est un tantinet opaque. Deux protagonistes : Paul Montès et Olivier Labrousse ou Olivier Labrousse et Paul Montès, l’un voulant dépasser l’autre, mais l’autre étant toujours sur ses pas, genre fox-trot néo-amical mais avec paso doble sanguinaire en deux temps trois mouvements. Ils ne sont pas frères et n’ont pas d’amis ; l’un veut devenir l’ami de l’autre mais l’autre n’a qu’une idée en tête : devenir célèbre. Un remix de Caïn et Abel version XXI° siècle avec le nougat et un manuscrit qui vont être aussi collants l’un que l’autre. Ajoutons que Paul est aussi maladroit qu’Olivier est brutal, qu’Olivier est aussi intelligent qu’un paquet de biscottes vide et Paul doté d’un génie qui dépasse les raisons.

Voilà pour les présentations. Pour le contenant, c’est une odyssée contenue entre Rambouillet et Manhattan avec quelques arrêts parisiens intra-muros ; l’histoire de ce loser (Paul) face à un énergumène (Olivier), ce dernier reculant devant aucun stratège pour lui piquer le manuscrit qui le conduira vers le succès. On s'interroge si le récit ne va pas se terminer façon air de la folie  de Lucia di Lammermoor  (Fuggita ia son da’ tuoi nemeci/Un gelo mi serpeggia nel sen/Trema ogni fibre/Vacilla il piè… and son on) mais non, je vous laisse (et sans collier) la découvrir… à se demander même si l’auteur n’en fait pas un peu de trop…

Votre serviteur n’a pu s’empêcher de faire une comparaison avec une autre histoire de vol de manuscrit, tout aussi croustillante, celle de William Kotzwinkle « L’ours est un écrivain comme les autres » mais en lieu et place du miel et de la crème fouettée, ce sont les nougats qui obtiennent  une haie d’honneur. Par le chemin de la farce corrosive c’est tout une démonstration de la superficialité d’une société, du narcissisme exacerbé, une féroce critique du monde « bien pensant », de l’aptitude de juger les gens sans les connaître ou que soudainement, une intelligentsia pompeuse porte aux nues un individu et le glorifie même dans ses errances incompréhensibles (cf la scène de conférence à Manhattan !).

Pour alléger le tout, Paul Béhergé ajoute quelques tranches finement découpées de psychanalyse en offrant (n’hésitez pas c’est gratuit) des cours peu conventionnels sur l’amitié avec comme référence, s’il vous plait, Platon et Socrate. Reste à savoir si Paul suit l’un des proverbes d’Aristote « Amicus Olivier, sed magis amica veritas »… car le voleur deviendra plus célèbre que le volé…

« Je sais que si je le voulais, je pourrai toujours, bien sûr, mais je ne le fais pas. Du reste, ça ne sert à rien de sucer, de frotter indéfiniment des cailloux plats dans ses mains, ça ne mène à rien. Cela procure beaucoup de plaisir, certes, mais le monde est-il fait pour le plaisir ? J’ai seulement gardé cette habitude de guetter les petites masses qui peuplent le sol aux alentours de la chaussée et, quand j’en vois un de très beau, je le mets dans ma poche fissa. »

Les nougats – Paul Béhergé – Editions Buchet Chastel – Août 2018-08-04

Livre reçu et lu dans le cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018



Aucun commentaire:

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...