Une noisette, un livre
Agatha Christie, le
chapitre disparu
Brigitte Kernel
Si
un jour (ou une nuit) vous désirez faire revivre un écrivain, une auteure qui a
bercé votre éveil livresque, ne faites pas tourner les tables, ne prenez pas
rendez-vous avec un medium de l’au-delà, n’allez pas implorer à Abydos la
déesse Seshat, non. Espérez simplement que Brigitte Kernel fasse revivre,
l’instant d’un livre, une plume légendaire sur le flot perpétuel de la
littérature.
Décembre
1926. La reine du polar so british disparait pendant une dizaine de jours et ce
n’est pas pour écrire un conte de Noël. Mais alors pourquoi… Mystère et boule
de noisette. Dans sa biographie Agatha Christie élude cette période où
elle est déchirée entre la disparition de sa mère et le désir de divorce de son
mari qui veut épouser sa secrétaire. Partir et s’évanouir un peu… sauf que la
presse ne va pas l’oublier. On y découvre alors une Agatha bien taciturne,
doutant d’elle-même face à ses déboires conjugaux. Loin d’être un récit
sentimental, c’est aussi une belle leçon de modestie post-mortem, une réflexion
sur la célébrité et l’occasion d’envoyer quelques flèches bien enrobées de causticité
sur les rumeurs et leur divulgation.
Avec
humour et finesse d’écriture, Brigitte Kernel retrace avec délice ces quelques
jours de fuite, se basant sur des faits réels mais en romançant l’épopée de la
créatrice de Miss Marple et d’Hercule Poirot. Point de cadavre, juste une
énigme sur une histoire de vengeance et d’amour. Avec quelques déguisements…
On
se prend au jeu, on croit voir apparaître la romancière britannique, l’exercice
est si réussi que le lecteur a l’impression qu’Agatha Christie lui raconte
directement ses journées restées secrètes, entre un camouflage et une plongée
dans les eaux thermales d’Harrogate. Nous ne sommes plus au XXI° siècle mais à
la fin des années 20, dans une ambiance surannée mais au charme éternel.
S’il
existe une SPA (Société Protectrice des Auteurs) je peux dire sans hésitation
que j’ai adopté Brigitte Kernel pour ses différents exercices de
prestidigitation verbale, cette agilité dans le rythme, cette capacité à entrer
dans l’esprit des personnages qu’elle évoque.
Si
l’ensemble du « Chapitre disparu » est enivrant, les dernières pages
ont quelque chose de supplémentaire pour évoquer les désordres de la vie et de
l’amour, sur les surprises du destin et cette lumière qui, peut-être, suit
chacun de nos pas. Une mystérieuse affaire de style(s) !
« Je déteste les
convives qui critiquent leurs hôtes dès la porte refermée. J’y vois une
méchanceté mais aussi une faiblesse. Ne critique-t-on pas pour exister, mettre
son pouvoir en avant ? »
« La douleur est un
mur. On ne peut ni le franchir, ni le contourner, ni le percer ; il faut
réussir à en prendre la forme, se couler dans l’acceptation et croire en
l’éloignement, déchirer les photos, jeter les cadeaux, les lettres, les
symboles, pleurer la nuit et hurler le matin, réussir à sentir à nouveau la
douceur de la brise sur la peau, à aimer le pourpre et le rose de certains couchers
de soleil. »
Agatha Christie, le
chapitre disparu – Brigitte Kernel – Editions Flammarion/J’ai lu – janvier2016/Septembre
2017
1 commentaire:
Superbe article et très belle écriture ! J'adore l'idée de la SPA !! D'autant que si j'adore les auteurs, je suis aussi folle de toutous . Merciiiiii
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