vendredi 2 mars 2018


Une noisette, un livre

 

 

Où passe l’aiguille

Véronique Mougin


 



Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Dora-Mittelbau, Bergen-Belsen.

1944 – 1945

L’enfer et toutes ses portes. Celles qu’ont franchies le jeune Tomas Kiss et sa famille. Parce qu’ils étaient juifs, on déportait, on torturait, on brisait, on humiliait, on dépeçait les âmes, comme pour ceux qui osaient résister ou afficher leurs différences.
A l’intérieur du camp, la vie ne compte plus, l’autre ne compte plus, tel un soldat au combat chacun doit puiser dans des forces inexplicables pour lutter, ignorer la mort, la contourner. La pitié est absente pour cause de survie.

« Où passe l’aiguille » pique. Un roman qui pique les pages, qui pique la lecture, qui pique le cœur du lecteur car la trame est l’histoire d’un jeune garçon, Tomi, qui rêve de devenir plombier au grand désespoir de son père qui souhaite que son fils devienne tailleur, comme son grand-père. Mais le petit Tomi est rebelle, farouche, indomptable. Peu à peu, la descente vers l’obscurité commence jusqu’au jour où tous prennent un convoi direction l’Allemagne. Tomi qui n’a jamais connu sa vraie mère va perdre sa mère d’adoption et vivre l’inhumanité XXL de la Shoah, ce monstre qui n’a pas de nom.

Tomi se dégoute mais tient bon grâce à son père qui le protège, à son copain Hugo, ce copain des jours heureux. Papa Kiss va obtenir un traitement un peu moins pénible parce qu’il coud ! Là, Tomi réalise que c’est sa chance s’il arrive à manier l’aiguille, lui le fil, finira par passer. Il ruse, observe, développe ses cinq sens, cet instinct va lui permettre de traverser en vie les camps d’extermination.

Libéré avec son père, ils retournent en Hongrie, dans leur village de Beregszasz mais la déception est immense car il ne reste rien, même pas la cheminée de leur maison. Ils vont s’enfuir et atterrir en France, pays de la mode. Car l’horreur des camps va faire devenir Tomi un couturier, un grand couturier franchissant les plus hautes marches. L’épreuve, l’adversité ont façonné Tomi, devenu homme, il ne va jurer que pas son métier afin de tout oublier. Pour ne pas pleurer.

Les témoignages de rescapés, les récits sur les affres de l’ignominie nazie sont nombreux en littérature. Mais à chaque fois c’est différent parce que chaque humain est unique. Véronique Mougin taille un roman absolument magistral en surfilant chaque chapitre pour éviter que l’attention s’effiloche. Par le biais de cette histoire véridique (celle de son cousin), elle coud avec brio une saga déchirante mais parsemée d’espoir et, surtout, épinglée de ténacité.

Du tissu rugueux, déchiré, en lambeaux, des années noires, va s’accomplir le miracle de l’épanouissement d’une étole souple, celle de la reconstruction. Lecture absolue.

« Je ferme les yeux, les hurlements redoublent, j’imagine la pédale de la machine à coudre sous mon pied. Ni trop vite, ni trop fort, j’appuie : l’aiguille trace en moi son chemin régulier, je me concentre sur sa frappe métallique mais les coups s’abattent toujours sur le jeune type, le plancher vibre, il me faut plus de bruit. J’enfonce la pédale, la machine s’emballe, la canette tourbillonne, les cris du tabassé ne sont plus que des gémissements, on dirait qu’il m’appelle alors j’accélère encore, la fonte grince, l’aiguille cogne, le tissu glisse à toute vitesse sous sa pointe argentée, je n’entends plus rien. Quand j’ouvre les yeux, tout est fini. »

« Le seul problème du bonheur, c’est la peur. »

Où passe l’aiguille – Véronique Mougin – Editions Flammarion – Janvier 2018

 

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