Souvenirs d'un médecin d'autrefois

mercredi 14 mars 2018


Une noisette, un livre

 

Le festin du lézard

Florence Herrlemann


 

Surtout ne pas faire de bruit. Feuilleter doucement chaque page et ne pas s’alarmer si la rencontre avec l’héroïne s’annonce un peu complexe, c’est juste qu’il faudra un peu de temps pour se familiariser avec Isabelle et sa vision personnelle de la vie, de sa vie. Cette vie différente parce qu’Isabelle est différente. Elle a pour seul véritable ami Léo, un être imaginaire qui est son unique interlocuteur, son unique confident.

Le XXI° siècle n’est pas encore apparu, il est encore loin. Nous sommes à une autre époque, celle des vieilles demeures, des parquets qui craquent, des calèches et des règles strictes dans la vie familiale. L’atmosphère est lourde, pesante dans ce huit clos où le lecteur va s’enfermer avec Isabelle, on viendrait presque lui tenir compagnie, elle qui a une Mère si distante et un Père aimant, mais absent. D’autres personnages surgissent, mystérieuses âmes qui hantent partout et nulle part.

C’est Isabelle qui narre, raconte, Isabelle la recluse, qui tisse sa toile avec une dextérité arachnéenne malgré l’obscurité de ce qui l’entoure. Son refuge est dans ses pensées, ses lectures ; son repaire est son cher Cèdre, l’autre ami… Enfermée, elle ne savoure jamais la liberté même en s’enfuyant, perdue entre rêves et cauchemars… Comme si elle chantait dans sa tête cet air de Rossini « Sombre forêt, désert triste et sauvage (…), c’est sur les monts, au séjour de l’orage que mon cœur peut renaître à la paix, mais l’écho seulement apprendra mes secrets ».

Ce roman que je soulignerais d’anticonformisme, est original tant sur le fond que sur la forme. Véritable choc thermique entre la luminosité de l’écriture et la noirceur de l’histoire. Une plume qui transcende par la beauté de son phrasé et la délicatesse de sa pudeur.
Le lecteur se délecte de cet émerveillement scriptural qui enveloppe chaque chapitre malgré l’ambiance lugubre d’une maison où l’amour a fui face au rejet de l’autre parce que différent.  Seul le lézard aura son festin…

«  Je la hais de m’avoir mise au monde et de m’en faire le reproche. Encore et encore. Je la révulse parce que j’existe. Elle ne supporte pas ma présence, elle l’endure. Elle nous fait cette haine, des jours visqueux, poisseux, gluants. Le poison coule dans nos veines, nous sommes immunisées. Nous n’avons plus aucune limite, nous excellons en la matière, nous en avons oublié nos cœurs, nos âmes. »

« Je sais combien d’autres mondes sont accessibles, sont hospitaliers. Combien leurs habitants, ces peuplades colorées, gaies, généreuses, m’attendent les bras ouverts. Et je continue de me réveiller dans cette chambre. »

« Les nuits d’hiver peuvent être étincelantes quand la lune est pleine et la terre enneigée. »

Le festin du lézard – Florence Herrlemann – Editions Antigone14 -  Avril 2016

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