Souvenirs d'un médecin d'autrefois

vendredi 20 janvier 2023

 

Une noisette, un livre
 
L’île haute
Valentine Goby

 


Vadim n’en mène pas large : à douze ans il quitte, au cœur de l’hiver, les Batignolles pour un endroit inconnu : Vallorcine, au pied du Mont-Blanc. Pour des problèmes asthmatiques. Du moins, c’est la raison officielle. Car il prend l’identité d’un autre petit garçon, il va devenir Vincent. Non seulement il va s’exiler de sa ville mais aussi de son identité.

Heureusement, des gens bienveillants vont être à son écoute. Auparavant il faudra d’abord apprivoiser l’environnement qui se projette devant lui : ces immenses monuments de roches enrobés de blanc, sortes de fantômes inamovibles dans lesquels on se creuse un chemin. L’arrivée est difficile mais bientôt la magie du merveilleux va opérer. Malgré l’absence des siens. Précision : nous sommes en 1943…

Roman initiatique par le personnage de Vincent/Vadim qui n’a « jamais rien vu, entendu, goûté, senti, touché » et qui va s’extasier devant la magnificence des Alpes, « rêver l’invisible » sur fond des quatre saisons. Un texte magnifique sur le pouvoir de la nature et du beau pour sauver un petit garçon de la bête immonde. La vie est pourtant rude, la nature dangereuse, à l’image du monde. Mais pour qui sait dompter ses peurs, dépasser ses limites et croire au miraculeux, une voie peut se dégager pour continuer d’escalader la vie. À ces tableau livresques – la richesse des descriptions, le défilé des couleurs, les rivières de mots font de cette fiction une pinacothèque – s’ajoutent un hymne à la montagne, à la nature, à la bienveillance humaine, celle qui tend une main avant qu’un être s’écroule et un authentique hommage aux montagnards.

« Vincent se retourne vers les aiguilles Rouges. Elle ressemble à un poulpe, cette montagne avec ses versants renflés. Il l’ignore, elle n’appartient pas à la chaîne du Mont-Blanc en dépit de sa proximité, ici pas de glaciers somptueux que Victor Hugo qualifiait de murailles d’argent, pas de contrastes aigus, d’aiguilles visibles, de décor spectaculaire source de chefs-d’œuvre littéraires ou picturaux – qu’importe, il ne sait pas que ça existe. Ce que voit Vincent, c’est un morceau de massif cristallo-schisteux plus ancien, plus arrondi, qui constitue ce que les géographes appellent les Alpes externes. Autrement dit, un relief plus modeste, plus facile à apprivoiser. Un jour sûrement, d’autres montagnes altéreront cette expérience originelle, plus pathétiques, plus conformes aux récits des grands alpinistes ; mais aucune ne pourra effacer l’image première, si nette, de ce jour de janvier, elle a la force des initiations. Cette vue-là des aiguilles Rouges se fixe en lui maintenant et pour toujours, sédimente, et chaque nouveau regard l’enfoncera plus loin dans sa rétine. Pour Vincent, désormais, cette montagne est LA montagne, les suivantes n’en seront que des variations ».

L’île haute – Valentine Goby – Éditions Actes Sud – Août 2022

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