lundi 5 août 2019


Une noisette, un livre


 L’ivresse du sergent Dida

Olivier Rogez




Tu es poussière et tu retourneras poussière… Peut-être est-ce ainsi que l’on pourrait résumer ce roman qui met en scène le personnage du sergent Dida dans un pays de l’Afrique de l’Ouest. Pays jamais nommé mais qui est frontalier avec la Côte d’Ivoire (par la référence faite à Félix Houphouêt-Boigny) et qui a été une ancienne colonie française.

Le baromètre du sergent Dida indique une forte dépression orientée par un moral en-dessous des chaussettes avec un risque de tempête intérieure force 11, donc l’alerte rouge cérébrale est proche du déclenchement. Mais, soudain, à cette station service, lorsqu’un officier lance un mégot  dans une flaque ressemblant à un épanchement d’hydrocarbure, une étincelle jaillit dans ses neurones encore en éveil et rapidement c’est son destin qui s’enflamme.
De sergent, il va passer capitaine (adjudant, aspirant, lieutenant… tout ça n’est que fantasme et accessoires inutiles), puis progressivement il va accéder aux marches du pouvoir, le malheur des uns faisant le bonheur des autres. Seulement les humains étant des crocodiles affamés (et pas uniquement par les poitrines généreuses), l’avenir de Dida n’est pas forcément une longue étendue de sable tranquille…

Ce premier roman du journaliste Olivier Rogez est un manuel récapitulatif de toute la corruption et sournoiserie des gens du pouvoir et de l’ambition effrénée des âmes humaines. L’action se passe en Afrique, pays que l’auteur connait bien, mais elle pourrait se situer dans n’importe quel pays du globe, la mondialisation de l’orgueil et du machiavélisme n’ayant ni frontières ni limites.
Quant à l’ivresse, elle est source de toutes les possibilités et donne une force imprévisible même sur les êtres semblant les plus réfractaires à l’envol vers les sommets. Mais cet élixir qui donne des ailes peut devenir un poison convertissant le héros en un Icare des temps modernes.
Le monde diplomatique n’est pas oublié (coucou Françafrique) et le regard porté sur le jeu des ambassades et des dirigeants politiques est cruel de vérité. Le personnage à contre-courant  de Michèle Dumont est édifiant : elle est le portrait du diplomate acceptant les directives avec plus ou moins de conviction mais qui finit pas admirer ce capitaine si différent, si épris de liberté et d’utopie.

Puis, une fois que l’harmattan est passé, retour à la case départ, sur cet éternel recommencement où tout passe, où parfois un miracle se surpasse mais où, également, le jaillissement trépasse. Encore une fois c’est un guépard qui pourrait avoir le dernier mot : « Il faut que tout change pour que rien en change ».

Le récit laisse à peine le temps de reprendre un souffle de lecture, tout s’enchaîne, galope, trépide par les envolées de plumes et de mots ; les personnages sont nombreux mais miracle on n’y perd aucunement son latin (si tant soit peu qu’on l’ait appris) et l’humour est à l’image d’un célèbre dilettante qui se hâtait de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer. Cette liberté d’esprit qui est de tous les temps et que l’on affectionne tant.
Avec ce livre, on peut déclamer qu’Olivier Rogez est « veni, vidi, vici » dans les couloirs de la littérature et que les portes livresques sont désormais ouvertes à toutes les promesses romanesques. D’ailleurs une noisette me dit qu’une prochaine livraison est en cours…

« Le forgeron solaire tapait sur la ville avec son marteau incandescent. Tant de violence abrutissait les êtres et chacun cherchait son coin d’ombre sous un manguier, dans une casemate ou le long d’un mur. L’air était aussi épais qu’une purée de manioc. Les rues étaient désertes. Les toits de tôle, vibrant dans l’air et rôtissant le peuple réfugié dans les maisons basses, devenaient les plaques d’un gigantesque four ».

« En quittant le palais présidentiel, Dida s’autorisa un léger sourire de satisfaction. « Comme il est simple, pensa-t-il, et de semer la haine dans les esprits vaniteux » ».

« Il n’y a rien de plus conservateur qu’une position diplomatique française en Afrique ».

«  La parole du chef a un effet magique. Elle est reçue comme parole d’évangile. Elle apaise les inquiétudes, ravive l’espoir, capte l’attention. Chaque homme politique sais d’instinct qu’il doit en user avec parcimonie car cette parole engage et, dès lors, le met en danger ».

L’ivresse du sergent Dida – Olivier Rogez – Editions Le Passage – Août 2017




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