Une noisette, un livre
L’ivresse du sergent
Dida
Olivier Rogez
Tu
es poussière et tu retourneras poussière… Peut-être est-ce ainsi que l’on
pourrait résumer ce roman qui met en scène le personnage du sergent Dida dans
un pays de l’Afrique de l’Ouest. Pays jamais nommé mais qui est frontalier avec
la Côte d’Ivoire (par la référence faite à Félix Houphouêt-Boigny) et qui a été
une ancienne colonie française.
Le
baromètre du sergent Dida indique une forte dépression orientée par un moral
en-dessous des chaussettes avec un risque de tempête intérieure force 11, donc
l’alerte rouge cérébrale est proche du déclenchement. Mais, soudain, à cette
station service, lorsqu’un officier lance un mégot dans une flaque ressemblant à un épanchement
d’hydrocarbure, une étincelle jaillit dans ses neurones encore en éveil et
rapidement c’est son destin qui s’enflamme.
De
sergent, il va passer capitaine (adjudant, aspirant, lieutenant… tout ça n’est
que fantasme et accessoires inutiles), puis progressivement il va accéder aux
marches du pouvoir, le malheur des uns faisant le bonheur des autres. Seulement
les humains étant des crocodiles affamés (et pas uniquement par les poitrines
généreuses), l’avenir de Dida n’est pas forcément une longue étendue de sable
tranquille…
Ce
premier roman du journaliste Olivier Rogez est un manuel récapitulatif de toute
la corruption et sournoiserie des gens du pouvoir et de l’ambition effrénée des
âmes humaines. L’action se passe en Afrique, pays que l’auteur connait bien,
mais elle pourrait se situer dans n’importe quel pays du globe, la
mondialisation de l’orgueil et du machiavélisme n’ayant ni frontières ni
limites.
Quant
à l’ivresse, elle est source de toutes les possibilités et donne une force
imprévisible même sur les êtres semblant les plus réfractaires à l’envol vers
les sommets. Mais cet élixir qui donne des ailes peut devenir un poison
convertissant le héros en un Icare des temps modernes.
Le
monde diplomatique n’est pas oublié (coucou Françafrique) et le regard porté
sur le jeu des ambassades et des dirigeants politiques est cruel de vérité. Le
personnage à contre-courant de Michèle
Dumont est édifiant : elle est le portrait du diplomate acceptant les
directives avec plus ou moins de conviction mais qui finit pas admirer ce
capitaine si différent, si épris de liberté et d’utopie.
Puis,
une fois que l’harmattan est passé, retour à la case départ, sur cet éternel
recommencement où tout passe, où parfois un miracle se surpasse mais où,
également, le jaillissement trépasse. Encore une fois c’est un guépard qui
pourrait avoir le dernier mot : « Il faut que tout change pour que
rien en change ».
Le
récit laisse à peine le temps de reprendre un souffle de lecture, tout
s’enchaîne, galope, trépide par les envolées de plumes et de mots ; les personnages
sont nombreux mais miracle on n’y perd aucunement son latin (si tant soit peu
qu’on l’ait appris) et l’humour est à l’image d’un célèbre dilettante qui se
hâtait de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer. Cette liberté
d’esprit qui est de tous les temps et que l’on affectionne tant.
Avec
ce livre, on peut déclamer qu’Olivier Rogez est « veni, vidi, vici »
dans les couloirs de la littérature et que les portes livresques sont désormais
ouvertes à toutes les promesses romanesques. D’ailleurs une noisette me dit
qu’une prochaine livraison est en cours…
« Le forgeron
solaire tapait sur la ville avec son marteau incandescent. Tant de violence
abrutissait les êtres et chacun cherchait son coin d’ombre sous un manguier,
dans une casemate ou le long d’un mur. L’air était aussi épais qu’une purée de
manioc. Les rues étaient désertes. Les toits de tôle, vibrant dans l’air et
rôtissant le peuple réfugié dans les maisons basses, devenaient les plaques
d’un gigantesque four ».
« En quittant le
palais présidentiel, Dida s’autorisa un léger sourire de satisfaction.
« Comme il est simple, pensa-t-il, et de semer la haine dans les esprits
vaniteux » ».
« Il n’y a rien de
plus conservateur qu’une position diplomatique française en Afrique ».
« La parole du
chef a un effet magique. Elle est reçue comme parole d’évangile. Elle apaise
les inquiétudes, ravive l’espoir, capte l’attention. Chaque homme politique
sais d’instinct qu’il doit en user avec parcimonie car cette parole engage et,
dès lors, le met en danger ».
L’ivresse du sergent
Dida – Olivier Rogez – Editions Le Passage – Août 2017
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