Une noisette, un livre
La part du fils
Jean-Luc Coatalem
« C’est
un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité ». 21 juillet
1969
L’humanité…
versus l’inhumanité.
De
1943 à 1945, seront fabriqués les V2, des missiles qui devaient révolutionner
la guerre et dont l’armée nazie avait grand besoin. L’un des principaux
ingénieurs développe un programme et la fabrication est effectuée par des
déportés dans l’enfer impitoyable de Dora, des conditions de vie qui feront des
V2 une arme plus destructrice par leur fabrication que par leur utilisation.
L’un des ingénieurs responsables de ce programme létal s’appelle Wernher von
Braun. Après s’être rendu aux alliés en mai 1945, il s’envole aux Etats-Unis
quelques mois plus tard, et, devient l’un des pionniers de la conquête spatiale
américaine, il sera, d’ailleurs, naturalisé en 1955. L’un des pères du 21
juillet 1969 est un nazi notoire, responsable de centaines de morts au camp de
Dora.
Dora,
D comme Dora. Là, où a été déporté Paol, le grand-père de Jean-Luc Coatalem qui
livre sa part dans un récit déchirant, mais également cathartique, sur cet aïeul disparu trop tôt dans le
camp de Bergen-Belsen le 12 mai 1944.
Kergat.
L’océan et son infini. L’immensité et ses espoirs. Mais aussi les vents
contraires, les vents mauvais venus d’Est et qui vont souffler sur l’Europe
dans les années 30 pour se transformer en une tornade destructrice quelques
années plus tard ; une noirceur totale avec une grande faucheuse n’ayant
aucune pitié pour le commun des mortels… et agitée par des mortels.
Au
sein de cette géhenne belliqueuse, l’horreur va supplanter l’horreur avec son
lot de crimes, de tortures… et de délations, délations qui arpentent les
places, les rues, les ruelles… par vengeance, par jalousie. Paol en sera une
victime en ce 1er septembre 1943, emmené sans ménagement par la
Gestapo. De Brest, il passe à Compiègne, puis le 20 octobre, affaibli par les
privations, les interrogatoires, les coups et autres maltraitances, c’est le
départ vers l’Hadès final : Buchenwald, Dora, Bergen-Belsen.
Disparition.
Silence. Silence de mort. Deuil inachevé…
Un
récit romancé mais qui relate la pérégrination d’un petit-fils pour retrouver
une trace de son grand-père dans le dédale de la deuxième guerre mondiale. Un
grand-père qu’il n’a jamais connu et même peu entendu parler, son père s’étant
enfermé dans le silence du souvenir.
Qui
était Paol, né en 1894 ? Un combattant, un homme qui ne reculait devant
rien. Il a connu quatre ans de guerre dans les tranchées, le corps à corps, la
faim ; se battre dans la boue entouré de rats et de cadavres, parfois ceux
de ses compagnons les plus proches. Puis, l’Indochine où il aurait peut-être
mieux valu rester même si « le pays ne lui appartenait pas » et enfin
le retour en Bretagne où il coulait des jours plus tranquilles en travaillant
dans le civil même si la vie l’avait déjà fouetté en lui prenant un de ses
enfants. Il restait ses deux fils mais l’un partira en Angleterre combattre et
mènera une vie assourdissante, tant, que l’on pourrait croire en un personnage
de roman. Et pourtant.
Et
puis, il y a le dernier, Pierre qui
grandira sans son père, seul avec sa mère Jeanne. Parce qu’il y a cette
délation qui va conduire Paol dans un tourbillon mortuaire…
Face
à cette tragédie universelle, mais également personnelle pour l’auteur, la
narration cogne à chaque mot. Des phrases brèves, certaines elliptiques pour
mieux signifier l’absence ou le désastre du parcours du déporté. Le train de la
déportation où déjà il faut résister, lutter contre le néant qui frappe mais un
néant qui fait mal, qui serre, oppresse, humilie. Puis les camps, avec leurs
administrations, leurs règlements, leurs cerbères avec tout le raffinement de
la torture, des sévices, des crimes indéfinissables… Et le camp de Dora… là où
« la conquête spatiale a commencé » selon la phrase de Robert Carrière,
rescapé de ce camp créé en 1943 pour la fabrication des V2. Une galerie minière
creusée par les déportés pour cacher la production des missiles et qui a été
l’une des machines infernales du III° Reich broyant des milliers de vie.
En
alternance, le lecteur découvre quelques passages plus légers sur les années
asiatiques du grand-père mais aussi du père et du petit-fils. Une chevauchée
lointaine comme des respirations nécessaires, celles qu’offrent les grands
espaces, les territoires lointains et la référence surprise à Henry Jean-Marie
Levet… comme une carte postale lancée depuis Bénarès…
La
suite de l’histoire, on ne peut la raconter car elle se lit directement ;
elle se lit pour comprendre combien le journaliste a eu envie d’en savoir plus
sur cet inconnu dont les gènes sont en lui, pour comprendre le gigantesque
travail de recherches effectué, pour comprendre les périodes de trouble,
d’effarement mais aussi de retrouvailles par les archives et les mots posés sur des feuilles de papier. Réaliser également que Paol n’était pas seul, des milliers d’humains ont subi
le même sort. Au nom d’une idéologie sans nom.
Depuis
un crépuscule Jean-Luc Coatalem a semé vers l’aube des lumières des petits
cailloux pour retrouver la trace de celui qui est « mort pour la
France », pour colmater une douleur qui paraissait inénarrable, pour tendre
la main vers l’invisible. Peut-être également pour colmater la souffrance de
l’âme et quoi de mieux que la psyché de l’écrit. Parce qu’elle libère, parce
qu’elle se partage. Et semer cette mémoire qui ne doit pas s’effacer et même être
marquée, comme une pierre de Dora déposée sur la montagne de Menez-Hom…
« Le silence d’un
homme, ce peut-être aussi sa souffrance ».
« Et Paol entendait
sa voix, il revoyait le visage de Jeanne, chaque geste geste de sa main, et sa
démarche que la guerre avait un peu sapée, et il sentait bien que tout ça
s’effondrait lentement, tel un château de sable que la marée rongerait et
emporterait ».
« Pour autant, son
cas n’est pas si exceptionnel. C’était une guerre mondiale. La terreur totale.
Une destruction à grande échelle. Comme des milliers d’autres, il a obtenu la
mention de « Mort pour la France ». Comme des dizaines de milliers
d’autres, il s’est épuisé à creuser le massif du Harz, en Allemagne, à Dora,
pour l’usine aux fusées. Comme des centaines de milliers d’autres, il est
devenu une bête de somme pour le Reich ».
« Il tente de
garder son humanité au milieu de la barbarie même si certains, déjà, à cause de
la promiscuité, de la peur, de la fatigue énorme, de la dysenterie et de la
puanteur, sont devenus fous à lier dans l’étuve. Ils geignent avant de
s’écrouler. D’autres se battent. Quelques uns sont écrasés. Il faut tenir
au-delà de l’intenable sur cette planète éteinte ».
« N’en déplaise à
von Braun et à son sourire triomphal, sa conquête des étoiles avait dû franchir
d’abord la porte des enfers. Les prisonniers de Dora en firent les frais, Paol
parmi eux. Comment l’oublier en regardant le ciel ? »
« J’avais murmuré à
Paol, cet inconnu familier, dans ce qui fut son hiver et sa ruine, que je ne
l’oubliais pas, que j’étais venu jusqu’à lui, attentif, accablé aussi, non pas
pour le faire renaître mais pour lui rendre un peu de son identité ».
La part du fils –
Jean-Luc Coatalem – Editions Stock/ Collection bleue – Août 2019
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