jeudi 29 août 2019


Une noisette, un livre


 Le cœur battant du monde

Sébastien Spitzer




« Sur terrain plat, de simples buttes font effet de collines »  Karl Marx
En lisant le dernier roman de Sébastien Spitzer, c’est un tremblement de terre dans la tectonique marxiste…

Londres, deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Théâtre d’une révolution industrielle où les profits ont grimpé en flèche pendant que la misère côtoyait également les hauteurs, mais celles de la pauvreté, entraînant des révoltes en toute logique. S’ajoute le sort des immigrés irlandais qui ont fui un pays économiquement dévasté et toujours en conflit avec le voisin anglais. Dans ce capharnaüm, surgissent des personnages : Karl Marx et son authentique baronne Johanna von Westphalen, Friedrich Engels et ses « épouses », Freddy, le fils caché du père du marxisme et Charlotte, Irlandaise ayant fui la famine, ayant perdu son enfant pendant sa grossesse et qui va recueillir le petit « bâtard » ainsi dénommé par le couple bien-pensant Karl et Johanna.

Freddy est né suite à une liaison éphémère de Karl Marx avec son employée de maison Nim. Oui, il faut le comprendre, Monsieur s’ennuyait, sa femme était partie et il fallait bien chercher une distraction bien loin de celles pratiquées par la bourgeoisie… Bref, quelques mois plus tard, il faut faire disparaître « ça » c’est-à-dire,  l’enfant ; comme d’habitude, Marx ne veut s’occuper de rien et c’est son fidèle ami Friedrich Engels qui devra s’acquitter de la tâche, financièrement également. Mais l’apparition fortuite du bon docteur Malte va faire changer le cours (pas ceux de la Bourse pratiqués par Herr Marx) du destin de Freddy et de sa mère adoptive Charlotte.

Charlotte va être une véritable mère pour Freddy qui lui deviendra un authentique fils pour elle. Ensemble, ils vont lutter contre la misère, contre l’infortune de ceux laissés sur le trottoir. Elle se prostituera en espérant qu’un de ses visiteurs finira par l’épouser, il y en a un qui semble se rapprocher de plus en plus d’elle dans l’affection… Mais tous les deux ignorent le dessein de Jenny La Rouge, la femme de Karl Marx qui garde curieusement encore des contacts avec sa famille…

Quant à Freddy, c’est un portrait personnalisé du courage qui est peint à travers tout le roman, et ce, jusqu’à la dernière phrase, jusqu’au dernier mot. Il n’aura pas la chance d’avoir une situation comme ses sœurs légitimes mais saura garder toute l’authenticité de la vaillance des êtres de cœur, même si ses rêves sont piétinés…

Reste un protagoniste qui est un élément clef dans l’histoire et qui relie tous les personnages : Friedrich Engels, et qui a éveillé un intérêt grandissant au cours de la lecture parce que moins connu que son ami Karl et beaucoup plus sibyllin, tout au moins dans le récit romancé par Sébastien Spitzer, mais, comme bien souvent, la réalité et la fiction tournent ensemble dans la même ronde des destinées. Engels, caractère entier, fournisseur officiels de billets pour le dépensier Marx (et amoureux de l’argent comme un ours avec le miel), épicurien et jouisseur, fait souffler le chaud et le froid sur la perception de ses idées. On se prend aussi bien à le détester qu’à l’admirer, il est le rouge et le noir sur le chemin gris d’un enfant non désiré et abandonné…

Si le personnage de Charlotte est fictif, les autres sont bien réels, seul le côté romanesque permet d’éclairer encore davantage les multiples paradoxes de Karl Marx et de relater l’enfer ouvrier dans cette Angleterre de tous les possibles, les meilleurs comme les pires. Une description terriblement humaine qui pousse le lecteur à vivre avec les personnages, à admirer la force de Freddy et la formidable Charlotte aussi solaire dans son âme que sa vie est ténébreuse. Un bel hommage également à ces hommes sincères dans la lutte contre la pauvreté et à ces femmes pionnières dans la reconnaissance de leurs droits. Karl Marx déclarait que « celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre », Sébastien Spitzer ressuscite le temps d’un livre toute l’aporie absolue de l’auteur du « Manifeste du parti communiste ».

« C’est d’un banal achevé. Un homme. Une femme. Une envie qui viendrait combler l’ennui. Et les regrets qui suivent, comme un charivari de casseroles et de couverts. Ces choses-là arrivent. Elles se traitent dans le secret ».

« C’est lui qui l’a relevée, Freddy. C’est lui qui l’a soutenue quand elle était à terre. Il est son presque fils, son plus que fils, devenu l’homme de sa vie. Elle s’était dit qu’une mère, ça donnait des racines et des ailes. Freddy n’a pas de racines. Il est né dans la boue. Il a grandi dans un taudis. Mais ses ailes ont poussé. Elles sont encore fragiles s’il veut prendre son envol ».

« Sous les noms des hôtes, Karl Marx et Madame Johanna Marx, figure une ligne précisant qu’elle est « née baronne von Westphalen ». Un bal, donc. Chez une femme « née baronne » et son époux sans emploi, sans rente. Le bal de l’apatride. Le bal du grand révolutionnaire socialiste. Payé comment ? Sur les fonds récoltés à la Bourse de Londres. Pour quelles parts ? Elle sait qu’Engels paie tout. Son ami est infoutu de gagner le moindre penny ».

Le cœur battant du monde – Sébastien Spitzer – Editions Albin Michel – Août 2019

Aucun commentaire:

  Noisette savoyarde Col rouge Catherine Charrier   Savez-vous qui étaient ceux que l’on nommait les « Cols rouges » ? Les commiss...