Une noisette, un livre
L’Âge de la lumière
Whitney Scharer
Clic-clac,
défilé de mode. Clic-clac, dans un fumoir d’opium. Clic-clac, dans une chambre
noire. Clic-clac, une rue à Paris. Clic-clac, des lèvres charnelles. Clic-clac,
une femme dans la guerre. Clic-clac, une femme amoureuse. Clic-clac, un homme
amoureux. Clic-clac, une liberté d’émancipation. Clic-clac, deux corps pour un
soir. Clic-clac, une séparation. Clic-clac, une biographie romancée magistrale.
Par
la voix du roman, Whitney Scharer retrace la relation entre Lee Miller et Ran
May, une relation un peu à la « si je t’aime, prends garde à toi »,
tant leurs corps se fusionnaient mais leurs talents étaient épris de liberté et
de reconnaissance ; avec une muleta de la jalousie agitée par Man Ray pour
imposer sa patte et son empreinte.
La
construction du récit est simple : il commence une dizaine d’années avant
le décès de la photographe dans sa maison du Sussex avec son mari Roland
Penrose. L’invitée est l’éditrice de Vogue, Audrey Withers, qui soumet à Lee le
projet de raconter son histoire avec Ran, sinon, le contrat qui lie la
photographe au journal va être modifié… Débute alors la narration de la
relation du couple Miller/May jusqu’à leur séparation au début des années 30.
Avec seulement quelques chapitres intercalés qui narrent la correspondante de
guerre qu’elle fut aux côtés de David Sherman, dont un pour remettre en mémoire
la célèbre photo de Lee Miller, nue dans la baignoire d’Adolf Hitler dans sa
maison de Munich le 30 avril 1945, jour du suicide du dictateur du III° Reich.
Mannequin,
la jeune et superbe Lee ne songe qu’à devenir photographe lorsqu’elle arpente
l’asphalte parisien à la recherche de fonds pour vivre. Elle fait quelques
connaissances qui vont la mener dans le milieu surréaliste (qui lui correspond
totalement) et croiser le chemin du photographe déjà en vogue (sans jeu de
mots) Man Ray. Il accepte de la prendre comme assistante et progressivement un
désir ardent brûle à l’intérieur de cette femme en admiration devant le travail
de son ainé. L’amour fait son apparition, entraîne les amants dans des
tourbillons d’ivresse mais le machisme est dans son état endémique et Lee va se
rebeller. Belle et rebelle.
Le
regard de Whitney Scharer porte le lecteur dans les coulisses du surréalisme,
ouvre l’objectif sur André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon, Claude
Cahun, dévoile les coulisses de la rencontre avec Jean Cocteau pour le film
« Le sang d’un poète » et apporte quelques retouches irréels dans
cette France en crise mais où les excès étaient source de création.
L’invitée
spéciale de cet « Âge de la lumière » est la sensualité, une
sensualité sans tabou mais avec un érotisme à fleur de peau, à l’image
certainement de Lee Miller qui depuis son enfance s’est habituée à jeter tout voile,
à donner son corps aux autres. La nudité lui a été volée, sa féminité prise,
bafouée. Elle en souffrira toute sa vie et alternera le rôle de l’amante à la
fois soumise et dominatrice. Corps et volupté, corps et jouissance mais
également corps et souffrance.
L’écriture
est un diaphragme qui varie subtilement les ombres et les lumières, les détails
et l’imaginaire, la réalité et la fiction. Et ainsi, l’auteure met en lumière le destin d’une
femme engagée, créatrice (qui est à l’origine du procédé de solarisation
récupéré par Ran May), voulant voler de ses propres ailes dans un univers où le
masculin l’emporte mais qui saura faire preuve de ténacité et d’audace. Même si
les blessures ne se refermeront jamais, elles ne cesseront d’ailleurs de s’ouvrir
davantage face à des amours impossibles et à l’immersion dans la cruelle et
sanglante Deuxième Guerre mondiale.
Le
poids de la prose pour le choc d’un portrait.
« Et il n’arrête
pas de la photographier. Son appareil est la troisième personne dans la pièce,
et elle minaude à l’adresse de l’un comme de l’autre pendant qu’il la prend en
photo. Ils développent les films ensemble, debout hanche contre hanche dans la
chambre noire, le corps de Lee s’épanouissant sous leurs yeux, sur le papier.
Du coup, ils revivent le moment une seconde fois, les images réveillant les
sensations de la veille jusqu’au moment où ils arrêtent tout et font de nouveau
l’amour, vite, les mains de Lee agrippées au bord de l’évier, les photos
oubliées, devenues noires dans le bac à développement ».
« Lee lambine
devant la porte, espérant que Man sera sorti, mais, quand elle finit par
rentrer, elle entend l’eau du bain couler depuis le couloir et elle voit les
vêtements de Man par terre, qui marquent
son trajet. Elle l’entend même chanter. C’est une nouvelle chanson. « Un
paquet de vieilles lettres d’amour », très mélo. Et là, elle comprend
qu’elle ne peut pas rester ».
L’âge de la lumière –
Whitney Scharer – Traduction : Sophie Bastide-Foltz - Editions de
l’Observatoire – Août 2019
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