samedi 19 janvier 2019


Une noisette, un livre


 Des hommes couleur du ciel

Anaïs Llobet




La Haye, juin 2017. Un attentat sanglant est commis dans la cantine d’un lycée néerlandais. Rapidement la piste tchétchène est évoquée, le poseur de bombe serait un élève venant du Caucase.
Car au milieu de ce tumulte, existe bien une famille venant de cette région du monde, une région oubliée de tous, meurtrie pas les répressions, ensevelie dans de sombres pensées. Il y a deux frères : Oumar et Kirem. Mais aussi un cousin Makhmoud. Oumar a passé son baccalauréat, il est attentionné, réservé, travailleur. Il a son double, son autre face cachée, celle d’un jeune homme homosexuel qui boit de l’alcool, porte des pantalons moulants, passe des soirées dans un club gay, s’enivre de sexe contre un mur ; il n’est plus Oumar, il est Adam. Kirem est beaucoup plus rebelle, plus violent même si pas autant que Makhmoud. Ce sont eux qui vont commettre l’attentat mais c’est Oumar/Adam qui va être le nerf de l’histoire.

Il y a aussi Alissa, professeure de russe dans ce même lycée. Elle a son passeport hollandais et se fait appeler Alice. Elle n’ose parler de sa véritable identité, de sa religion même à son compagnon Hendrik. Car, elle est Tchétchène ; prise entre deux cultures malgré son intégration ; car il en faut peu pour qu’elle ne se sente pas tout à fait comme ceux qui l’entourent ; au moindre regard, au moindre soupçon, elle est l’étrangère.  Alissa connait les deux garçons, ils se ressemblent autant physiquement qu’ils sont éloignés psychiquement. De Kirem, elle n’obtient rien, que des copies écrites en tchétchène et non en russe, elle ne les lit plus, elle les a juste mises de côté.

Les enquêteurs vont demander l’aide de cette professeure, notamment comme interprète. A la douleur d’avoir perdu des élèves dans la tragédie, s’ajoute la terrible réalité d’Oumar soupçonné alors qu’il est l’opposé d’une terroriste. Mais il se tait, s’enferme.

Un récit qu’il faut bien lire attentivement jusqu’à la dernière phrase pour en saisir toute sa dimension. Car à côté du roman, c’est la journaliste Anaïs Llobet qui s’exprime, la reporter qui connait la Russie, la Tchétchénie  et ses farouches persécutions d’homosexuels. Rien n’est rédigé au hasard, c’est un diaporama sur les différences, les conflits, l’intolérance. C’est aussi  une description sans œillères de l’exil, ce déracinement qui est une déchirure pour ceux qui partent et un terrain de haine chez certains regards occidentaux. La ville de La Haye n’a pas été choisie par un jeu de loterie . La journaliste la connaît bien mais cette cité porte également un immense symbole car de nombreuses institutions internationales y ont leur siège : la Cour de Justice (CIJ), la Cour Pénale (CPI), l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), etc.

Quand on referme ce livre si poignant, déchirant, on se met à rêver d’un monde meilleur, plus ouvert sur l’autre. On rêve de ces couleurs arc-en-ciel qui ouvrent le spectre des lumières de tolérance, on pense à l’Afrique du Sud qui a pris cet emblème après la fin de l’Apartheid. On souhaite que ces hommes couleur de ciel, deviennent l’avenir de l’humanité… Un roman pour comprendre l’autre, les autres ; un roman pour expliquer l’enfer réel des dictatures et le rejet de toute singularité, un roman pour apprendre à nous occidentaux d’éviter la condescendance afin de percer les abcès de la violence

« Oumar se souvient de Taïssa, ses yeux secs et impassibles, ses mains chaudes même au creux de l’hiver, la peau douce malgré l’absence de caresses.
Mère-rempart, elle levait le menton vers le plafond de la cave, comme si elle défiait les avions de faire tomber leurs bombes sur ses enfants. Oui, il se souvient de ce regard qui ne vacillait pas, de son calme face aux grands-mères qui la harcelaient de reproches. Elle gardait la tête froide et les voisins s’en remettaient à elle. Taïssa avait la parole juste, le cœur acéré. Chacun savait que, si elle n’avait pas ses fils à élever, elle serait déjà dans les forêts, à se battre épaule contre épaule avec son mari Souleiman.
Oumar essaie de retrouver ce sentiment de fierté qui a nourri son enfance. Cette certitude d’avoir la seule mère qui vaille, loin des autres souris plaintives de la cave, faiblissante et affamées. Quand il suffisait de regarder Taïssa pour que la guerre n’existe plus ».

Des hommes couleur de ciel – Anaïs Llobet – Editions de l’Observatoire – Janvier 2019


4 commentaires:

Delphine-Olympe a dit…

Un excellent roman, et une thématique qui ne pouvait que te toucher.

Squirelito a dit…

Nous sommes beaucoup à avoir été touchés par ce roman. Bravo Delphine pour ta chronique http://delphine-olympe.blogspot.com/2019/01/des-hommes-couleur-de-ciel.html

http//:mumudanslebocage.wordpress.com a dit…

Tu restitues parfaitement le ressenti et le contenu de ce roman qui m'a surprise... Je ne m'attendais pas a une telle intensité, une telle émotion... Un beau coup de cœur pour moi sur un thème qui d'habitude ne m'embarque pas, j'y entre plutôt a reculons... Comme quoi 😋

Squirelito a dit…

Et c'est vrai que c'est un joli titre pour une histoire de souffranceshttps://mumudanslebocage.wordpress.com/2019/01/12/des-hommes-couleur-de-ciel-de-anais-llobet/

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