jeudi 24 janvier 2019


Une noisette, un livre


 La Maîtresse de Carlos Gardel

Mayra Santos-Febres




Le terme et la danse « tango » étant originaire de la communauté noire d’Amérique Latine, quoi de plus fort que le récit d’une liaison entre Carlos Gardel et une jeune portoricaine à la peau d’ébène.

Micaela Thorné (avec un tel prénom rien ne l’épouvante) est une jeune femme, studieuse élève infirmière voulant devenir médecin, vivant auprès de sa grand-mère adorée, Mano Santa, guérisseuse et infaillible en botanique.
Au crépuscule de sa vie, elle se revoit, elle, la jeune rêveuse, héritière des secrets dont celui du cœur-de-vent combattant les griffures et autres symptômes de la syphilis, comme ces griffes de l’acanthe de la nymphe grecque provoquées par la vengeance d’Apollon. Son apollon fut Carlos Gardel, une rencontre passionnée en 1935, un total de 27 nuits brûlantes passées avec lui lors de la tournée à Porto-Rico du célèbre chanteur.

C’est un long pas de deux qui commence et qui se termine comme une mordida, avec un balanceo entre la fougueuse relation de Micalea et Carlos et la condition des femmes noires dans l’archipel des Grandes Antilles avant la seconde guerre mondiale.
Mayra Santos-Febres décrit avec une volupté incroyable, cette liaison éphémère mais ô combien intense. Des bas quartiers aux hôtels de luxe, la protagoniste va suivre son amant, le soigner, le désirer, le saisir, le prendre. Des heures de plaisir au son du tango, d’abrazos, des empujadas pour mieux se connaître, se sentir, faire corps contre corps.

A côté de la sensualité, à côté des corps, l’esprit escalade aussi des sommets d’envies, de rêves, de liberté, d’émancipation ; en tant que femme, en tant qu’individu de couleur noire. Au début, quand elle arrive avec sa grand-mère à l’hôtel de luxe où réside Carlos Gardel, elles sont obligées de passer par un circuit caché, tortueux, pour accéder à sa suite, inconcevable que des personnes noires franchissent le même passage que les blancs et les riches. Mais quand elle devient LA maîtresse du roi du tango, elle peut devenir reine de quelques jours, arpentant les espaces qui jusque là lui avaient été refusés…

Se chante également un hymne à la nature, à la vertu des plantes, au savoir des autochtones, à cette communion entre eux et la terre ; une leçon de phytologie appliquée et un exemple de respect envers ce que notre planète peut nous offrir, nous apporter en soins à côté de la médecine.

Formidable espejo où se reflète un magnifique portrait de femme dans le cœur de l’Amérique Latine et au vent des amours aussi prodigieuses que ténébreuses. Un cœur-de-vent sensuel dans les épines de l’acanthe aux sons du tango. Langoureusement superbe !

« Miel épais. Densité du musc. Les ondes de sa voix m’ont enveloppée, comme un bain d’onguents, la caresse d’un baume ».

« Ce dont je me souviens comme si c’était aujourd’hui, c’est sa voix s’insinuant entre mes doigts. La chanson a remonté mon bras jusqu’à ma poitrine où elle s’est lovée. Ce son gargouillait comme un épais jet d’eau, mais aussi comme une véritable caresse qui, sans contact, œuvrait pourtant de toute autre façon dans cette voiture : une sensation tactile qui me faisait vibrer de l’intérieur ».

« Notre sang n’est pas d’une couleur différente, il est rouge. Son rythme n’est autre que celui qu’impose un cœur, qui lui-même n’est rien d’autre qu’un muscle qui se dilate et se contracte, qui ne répond à aucun autre stimulus que ceux qu’impose la biologie ».

La Maîtresse de Carlos Gardel – Mayra santos-Febres – Traduction : François-Michel Durazzo – Editions Zulma – Janvier 2019




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