Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 6 janvier 2019


Une noisette, un livre 


Les imparfaits

Sandrine Yazbeck




« Tu es toujours mon amour, parfois tu n’es que mon amour » Rimah

Une phrase, quelques mots gravés au dos d’une montre. Celle qui découvrira ce message ne saura pas exactement ce qu’il veut dire, il est écrit en arabe. Mais un jour, elle en saura un peu plus, entre secrets et mensonges…

Presque un huit clos ce roman, un appartement londonien avec un trio de personnages : Gamal, Howard et Clara l'absente. Tout semble lié entre eux mais progressivement ce sont des pièces d’un puzzle sur la scène du théâtre de l’amour et de ses secrets. Juste une escapade à Positano dans la province de Salerne en Italie.
Gamal est un ancien grand reporter qui a couvert de nombreux conflits et remporté de prestigieux prix dont le Pulitzer. Howard est un ami, du moins tout porte à le croire au début, qui est aussi journaliste mais dans le secteur économique. Clara est l’épouse de Gamal mais elle a quitté le domicile conjugal il y a cinq ans sans donner aucune nouvelle. Un jour, Gamal s’aperçoit que son ami a un billet pour Positano, pays de naissance de Clara. Que lui cache-t-il ? Que sait-il ? C’est le début du démembrement du puzzle surtout avec la découverte d’une photo avec le texte de la montre recopié par Clara… Bienvenue dans l’univers des non-dits, des mensonges et des arcanes de l’intimité des corps, des âmes.

Pourquoi n’avoir pas révélé le secret de cette inscription sur sa montre ? Pourquoi avoir attendu qu’un autre en parle en trahissant la véritable histoire ? Pourquoi l’humain a tant de mal à avouer ses propres faiblesses, ses propres peines au risque de les provoquer chez ceux qu’il aime ? Des questions et un roman parfait sur ce que sont les protagonistes et qu’en fait, nous sommes tous : imparfaits. Des faits du passé deviennent concomitants dans le présent et c’est une spirale qui s’engouffre sans que personne ne puisse l’arrêter sauf la mort.

Cette grande faucheuse qui brise avant l’heure des vies, des passions, et qui est omniprésente chez les reporters de guerre comme Gamal. Ces morts que relatent les journalistes mais n’ont jamais fait stopper le cours de l’histoire, qui n’ont jamais pu influencer les décisions belliqueuses des faiseurs de conflits. Pourtant, ils sont toujours là pour montrer au monde l’absurdité, la géhenne des guerres. Howard faisait partie des vaincues, Gamal faisait partie de ceux qui y croyaient ; qu’une photo, un récit pouvait changer la face du monde. C’est l’objet du chapitre 23 qui est digne de figurer dans les annales du journalisme de guerre.

Un roman magnifique, lyrique, qui démarre par un largo énigmatique et qui va aller crescendo pour se terminer dans une marche scripturale triomphale. C’est beau comme un opéra, triste comme une tragédie. Si les cartes humaines étaient plus sincères, si elles ne mentaient pas, peut-être que les réponses amères n’existeraient plus.


« Ce serait formidable si, pour rattraper le temps perdu, il suffisait de monter et descendre les escaliers » !

« Howard pensait qu’il n’y avait rien à changer, que de cycle en cycle le monde suivrait inexorablement sa course, que je l’accepte ou non, mais j’aimais tout de même croire que, de petites pierres en modestes édifices, le destin d’une ou deux personnes à la fois, j’avais un peu changé le monde, le monde et la vie des personnes au nom desquelles j’avais témoigné ».

« J’avais vécu comme l’un de ses soldats dont j’avais si souvent croisé le chemin, qui avaient réussi à survivre avec, logées au fond du corps, les balles de la dernière guerre, un soldat qui croyait qu’il pourrait survivre sans guérir, pourvu qu’il ne soit pas à nouveau blessé. Un soldat qui s’était trompé ».

Les imparfaits – Sandrine Yazbeck – Editions Albin Michel – Janvier 2019






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