mercredi 12 septembre 2018


Une noisette, un livre


 Un problème avec la beauté 

Delon dans les yeux

Jean-Marc Parisis




Alain Delon. Une gueule. Un guépard. Un samouraï. Dans les années 50, le monde découvre un nouvel éphèbe, le maniement des armes se fera en Indochine, à Saïgon. Pas pour très longtemps… L’examen final sera sa capacité à se faire un nom dans cette apparence d’Appollon.

L’écrivain et journaliste Jean-Marc Parisis signe une biographie inclassable d’Alain Delon, jamais sous la forme d’une fiction mais avec une originalité qui donne l’impression que les pages qui se tournent sont des rushs nécessitant aucun montage, du pris sur le vif pour un personnage qui ne laisse personne indifférent, pour le meilleur et pour le pire. Ou inversement.

De l’enfance au crépuscule de sa carrière, on remonte le fil du temps de celui qui n’a jamais été « comédien mais acteur ». Caractère indéfinissable, tempérament paradoxal, soufflant dans les ombres pour éviter la lumière tout en la retenant pas dessus tout. C’est un passage à Cannes, la rencontre avec l’autre star de l’époque, Jean-Paul Belmondo, les premières amours et la rencontre avec la fine fleur de la réalisation : Marc Allégret, René Clément, Luchino Visconti, Henri Verneuil…L’indomptable Delon laisse des traces, veut jouer mais ne veut pas être dirigé car il considère chaque rôle comme une vie. Ce qui entraînera forcément des incompris, des ruptures, comme avec Jean-Pierre Melville, pour qui, pourtant, Alain Delon conservera un immense souvenir et sera bouleversé lors du décès du cinéaste.
On est loin de la biographie sur ragots et rumeurs, on perçoit un homme bien plus sensible qu’il ne veut paraître, identité complexe voire inextricable tel un dédale, comme si chaque cellule de son esprit était sans issue…Aucune flagornerie, ni dédain, juste une vision objective, de ses échecs et de ses succès, de ses prises de position qui parfois se contredisaient, comme celle sur l’homosexualité, la qualifiant de « contre-nature » alors que quelques décennies auparavant il déclarait « qu’en amour tout est permis » lorsqu’on lui posait une question sur les relations amoureuses entre hommes…

L’ouvrage porte de longs chapitres sur l’affaire qui marquera la France post 68 : celle de l’assassinat de Stevan Markovic, ami et salarié du couple Delon. Au-delà de la suspicion autour de l’acteur et de l’incarcération d’un autre ami du milieu, François Marcantoni, c’est une violente cabale qui atteint l’ex-premier et futur candidat à la Présidence de la république : Georges Pompidou, avec des rumeurs pestilentielles sur son épouse Claude. Delon devra affronter un marathon judiciaire pendant que le couple Pompidou gardera la tête haute dans une dignité absolue. On songe soudainement, ce qu’aurait été l’affaire si les réseaux sociaux avaient existé à l’époque…

Impossible d’évoquer Delon sans parler de Romy Schneider et Mireille Darc, et, sur un ton emprunt de déférence pour les deux actrices légendaires. Amours qui ont eut une fin mais une amitié sans limites jusqu’au dernier souffle de vie pour chacune ; les témoignages retranscris permettent d’adoucir certains propos racontés ici et là.

Reste le titre du récit qui en est le fil conducteur : la beauté. Un visage d’une esthétique inouïe, un regard d’azur, un sourire renversant, une démarche à faire chavirer une statue de marbre…Une belle gueule qui a été un atout mais aussi un écueil. Admiration versus détestation. Rien de plus subjectif que la beauté et de plus assourdissant, un luxe pouvant devenir un cadeau empoisonné… Ajouter une attitude parfois plus que déconcertante, blessante, provocante, il n’en faut pas moins pour s’attirer les foudres, non pas du ciel, mais des âmes humaines. Delon a dû, durant toute sa carrière, prouver qu’il n’était pas qu’un visage de camée, mais aussi un personnage, ou plutôt, des personnages, glorieux ou paumés ; mais à chaque fois le public l’attendait dans un rôle noble, tous ceux qu’il a interprété à contre-courant ont été des échecs ou quasi-échecs… Etiquette quand tu nous tiens… !

« A un moment, Mercader (L’assassinat de Trotsky de Joseph Losey) contemple des fresques de Diego Rivera, pendant que son acolyte, lancé dans une théorie sur l’art, guette un commentaire de sa part. Mutique, Mercader s’absorbe dans les lignes et la couleur, à la manière dont Delon contemplerait ses Delacroix, Millet, Corot. La peinture imposait le silence, renvoyait le langage à sa substance vaine, pathétique. La peinture sauvait l’homme de la parole, du malentendu, de la trahison. Seul comptait vraiment ce qui s’échangeait, se formulait sur l’axe du regard, ce qui se touchait, se formulait avec les yeux, ou alors avec les mains, comme les bronzes de Rembrandt, Bugatti, qui sculptait des chiens, des fauves, autant d’amis. Bugatti aurait pu être son ami, un rôle aussi. »

Un problème avec la beauté, Delon dans les yeux – Jean-Marc Parisis – Editions Fayard – Août 2018


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