lundi 10 septembre 2018


Une noisette, un livre


 La saison des fleurs de flamme

Abubakar Adam Ibrahim




Nous ne sommes pas en Italie mais au Nigeria, pas à Vérone mais à Abuja. Pas d’amours adolescentes et pourtant des amours interdites : celle d’une femme d’âge mature, pieuse, veuve depuis 10 ans et d’un jeune homme faisant la loi à San Siro entre vols et trafic d’herbes en tout genre. Au milieu, des familles, la tradition africaine, la religion musulmane et un pouvoir politique corrompu. Une tragédie en trois actes pour un roman qui soulève tabous, violences et un complexe d’Œdipe revisité.

Lorsqu’ un voyou cambriole le domicile d’Hajiva Binta, ce jour-là tout va basculer pour elle. Sous la menace du couteau, elle résiste, regarde cet homme qui lui fait tant penser à son fils Yaro disparu, abattu,  lui aussi trafiquant en haschich et autres substances illicites ; ce qu’elle ne se doute pas c’est qu’au même moment Reza regarde cette femme en se remémorant le parfum de musc de sa mère, cette mère quasi inconnue et si absente. De cette rencontre brutale, va naître un amour charnel, passionné mais ô combien condamné par la morale. Des rendez-vous cachés pour ne pas éveiller les soupçons, des doutes chez l’un comme chez l’autre et une culpabilité pour Binta, celle de jouir avec cet homme comme elle ne l’a jamais fait avec feu son mari. Elle, va continuer à vivre comme si de rien n’était avec ses enfants, ses petits-enfants, ses nièces même si au fur et à mesure un flottement s’installe dans la béatitude. Lui, poursuit ses « affaires » notamment avec un sénateur corrompu, refusera de suivre les conseils de Binta parce que trop écorché vif.

L’écriture est sublime, des courbes poétiques alternent sur des mouvements d’excès, d’agressivité, la vulgarité des dialogues face à la beauté de la sémantique.

Un roman subversif, courageux qui détaille avec maestria l’impossible rapprochement  des antagonismes sous le joug des doctrines établies. Malgré la rudesse du fond, c’est un livre qui amène curieusement une tranquillité tant la construction est accomplie et chaque chapitre amené par un subtil proverbe africain : « Aussi loin qu’une pierre soit lancée, elle finira toujours par retomber » ; « Ne prends pas la peine de regarder l’endroit où tu es tombé, regarde plutôt celui où tu as glissé » ; « Un serpent peut changer de peau, il reste un serpent » ; « On ne peut cacher dans un sac un animal à cornes ».
La pudeur des sentiments est omniprésente, chacun essayant de s’exprimer sans trop en dire, préférant parfois le langage universel et sincère du regard ; une délicatesse tente de se frayer un chemin malgré l’adversité, les blessures, les souvenirs moribonds, l’odeur des cafards… Ces cafards introuvables et qui se cachent parfois à l’intérieur des corps comme ceux de ces politiques corrompus, cyniques, montrant une certaine empathie dès qu’il s’agit de servir leurs intérêts au prix de la chair, du sang, mêlant démagogie et autoritarisme pour aboutir à leurs plus abjects objectifs de pouvoir et de luxe.

Une histoire qui souffle le chaud et le froid comme l’harmattan chargé de ces poussières qui empêchent aux êtres de s’épanouir, desséchant les âmes et laissant des larmes de sang sur le chemin des destins.   

« Elle regardait le massif de pétunias que Hadiza avait planté avec amour pour mettre un peu de couleur dans ce jardin envahi de petits oiseaux dès le lever du soleil. Ce fut à ce moment précis, devait-elle songer plus tard, que les pétales de sa vie, pareils à un bourgeon qui avait enduré un demi-siècle de nuits, se mirent à s’ouvrir enfin. »

« Binta se précipita vers sa chambre, verrouilla la porte et alluma deux bâtons d’encens, contemplant la jolie fumée s’élever en tournoyant vers le plafond. Mais les miasmes si caractéristiques du péché perdurèrent. Elle alluma alors deux bâtons de plus et de dirigea vers la salle de bains pour y laver les traces de ses errements. »

« Son regard s’était arrêté sur un point au-delà des murs beiges, sur ces prairies lointaines illuminées par les seules flammes de son imagination. »

« De l’autre main, elle prit le roman qu’elle lisait avant de s’endormir. En observant le visage transi d’amour de la fille sur la couverture, elle rêva de disparaître entre ces pages et de ne faire qu’une avec ces mots. Qu’il n’y ait plus que des phrases, qu’une intrigue, que de l’amour, où de tendres conversations sont murmurées, nimbées par les voiles de l’adoration. Que tout finisse par des mariages. En happy ends parfumés. Sans sang, sans chairs mutilées, sans cauchemars aux couleurs douloureusement sombres. « 

« Elle ouvrit le dernier tiroir de sa coiffeuse et en sortit l’album photo relié cuir. Avec tendresse, elle le débarrassa de sa pellicule de poussière et le pressa contre sa poitrine. Les cendres de la mémoire s’agitèrent et elle eut l’impression de sentir le temps disparaître. Elle retrouvait le goût des larmes amères, elle revoyait les sourires, les clins d’œil mystérieux et les petits fragments de vie quotidienne qui fusionnaient les uns avec les autres pour former le trésor de son passé. »

La saison des fleurs de flamme – Abubakar Adam Ibrahim – Traduction Marc Amfreville – Editions de L'Observatoire - Août 2018



Aucun commentaire:

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...