Une noisette, un livre
Casa Bianca
Jacques de Saint Victor
Vacances
italiennes, loin de Rome et non en scooter pour un couple italo-français en
quête de dépaysement, d’une recherche d’authenticité face au tourisme de masse
étouffant toutes les saveurs des civilisations.
Michela
a hérité d’une vieille bâtisse des Pouilles, le Salente baroque, autrefois un
couvent et depuis quelques années abritant un mystérieux cercle de jeu. Rien de
plus cocasse pour Jacques, historien et spécialiste, entre autre, de la mafia.
Mais nous ne sommes plus dans les années 90 et doit-on toujours orienter son
oreille vers les rumeurs, donner pouvoir aux calomnies ? Après tout, Don Basilio mettait déjà en garde
« La calumnia è un venticello… E produce un’espliosione ». Après avoir
récupéré le bien, parlementé avec le premier magistrat du village, choisi les
artisans pour quelques réparations nécessaires et écarter progressivement tous
les préjugés, le couple passe leurs congés dans cette Italie différente, là où
le passé a encore une présence et où tout porte à croire que « il futuro
ha un cuore antico », l’une des nombreuse références à la littérature
italienne (mais hélas, je crois qu’il n’existe aucune traduction française de
ce roman de Carlo Levi).
Sans
la moindre intention de donner des leçons, le narrateur va progressivement
faire déambuler ses réflexions au fil des pages, laisser sa plume le guider aux
humeurs de l’instant, aux souffles de l’air ambiant, aux effluves mariant
Orient et Occident, au soleil brûlant et aux visites des tarentules… Rien n’est
oublié, de l’enfer au paradis, tout est une divine comédie.
C’est
qu’il s’en est passé depuis l’homme d’Altamura jusqu’à la lecture du journal du
« zio » de Michela que Jacques
dévore jusqu’à, parfois, en oublier de manger, mais son histoire reflète la
condition de la vie de la première moitié du XX° siècle dans cette zone baignée
par les mers Adriatique et Ionienne. L’Antiquité, les Lombards, les croisades,
les Bourbons, le royaume des Deux-Siciles jusqu’à l’unité italienne. Mais le
XX° siècle réserva encore des surprises… Un récit qui justement plonge dans le
passé pour réajuster le présent et qui montre tous les paradoxes à la fois des
peuples autochtones et de ceux qui veulent les « envahir », par voie
belliqueuse ou par voie plus pacifique comme le tourisme.
En
dehors (même si on reste à l’intérieur) de cette quête de la vérité, des vraies
valeurs sans toutes les fioritures que le marketing sauvage impose, ces heures
passées à lire « Casa Bianca » peut ressembler à une retraite dans un
lieu hors du temps, voire hors de l’espace, où l’être humain passerait
simplement son temps à écouter, regarder. Admirer le ciel et ses nuances,
déguster ce que la nature offre, caresser les murs qui renferment tant de
secrets… Tel un vaudou livresque, Jacques de Saint Victor nous rappelle toute
l’histoire de cette péninsule et que la culture est peut-être l’élément le plus
important de toute l’humanité, de Virgile à Stendhal, de Paisiello à Venditti,
de De Sica à Visconti, et qu’on souhaiterait presque que rien ne bouge pour que
rien ne change… Comme l’auteur qui a un bleu à l’âme en quittant ce nouveau
havre de paix, le lecteur reçoit une petite flèche (pas celle de Cupidon) dans
son cœur lorsque la dernière phrase apparaît. Reste à laisser dormir le récit
et le retrouver plus tard, se souvenir que les classiques ne meurent jamais
surtout quand l’Antiquité est encore la source des plus belles lettres
modernes.
« Il faut toujours
se méfier des rumeurs et des écrivains faisant de l’Histoire… »
« Plus on
voyageait, plus on éprouvait un peu partout un malaise toujours
identique : l’illusion d’un déplacement sur une planète standardisée par
l’industrie du voyage ».
« J’ai toujours
rêvé d’une vie paisible sous ce ciel d’Orient. Serrés l’un contre l’autre, nous
voguions tous les deux partout en Méditerranée, dans la Sicile des Guépards de
Lampedusa, dans la Lucania de Carlo Levi et de son Christ resté à Eboli, dans
la Calabre de Campanelle et de sa Cité du Soleil, dans le Salente de Vanini ou
même en Andalousie. Si Michela m’avait laissé faire, j’aurais bien mis à fond
la Fantasia para un gentilhombre de Joaquin Rodrigo, car je me sentais aussi au
fin fond d’une autre péninsule, celle des fiers hidalgos de Cadix ou de
Séville. J’étais devenu un adepte de ce Sud rugueux où la musique et le chant
accompagnaient depuis les Grecs toutes les étapes de la vie ».
Casa Bianca – Jacques de
Saint-Victor – Editions des Equateurs – Mai 2019
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