Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 17 juin 2019


Une noisette, une femme de combat


 Djaïli Amadou Amal

La lumière des sans-voix de l’ombre 

 
Djaïli Amadou Amal lors de la présentation de son livre au Café littéraire de la Fondation Orange



Munyal, munyal, munyal. Patience dans la langue peule et un mot que Djaïli Amadou Amal a un jour refusé d’entendre, refusé de suivre, refusé le fait que les femmes soient éternellement la soumission des hommes et qu’elles doivent toujours être patientes. La patience a ses limites surtout quand le seul droit est celui d’obéir et de ne pas se plaindre.

Djaïli Amadou Amal est née au Cameroun, de mère égyptienne et élevée dans la culture islamopeule.  La plupart des filles ne vont pas à l’école car « l’école est perçue comme une institution chrétienne et les filles ne sont pas encouragées pour aller apprendre, par exemple dans une classe de 3°, 50 élèves et seulement 6 filles ». Djaïli Amadou Amal a essayé de braver les interdits en lisant des livres, en escaladant des murs pour aller à la bibliothèque du centre catholique, seul endroit avec des ouvrages à disposition ; elle rêvait d’être journaliste et de présenter un jour le 20H. A 16 ans, elle a présidé dans son collège un club journalistique et a même participé à un défilé : « j’ai eu six demandes en mariage car j’étais devenue un trophée ». Mais le livre demeurait sa bouée de secours et « mettre sur le papier ce que j’avais envie de dire, de dénoncer ».

Dans "Munyal, les larmes de la patience", fiction inspirée de faits authentiques, elle décrit la violence sous toutes ses formes à commencer par les mariages forcés (et pourtant interdit dans l’islam), une femme ne s’appartenant jamais, elle est sous la « propriété » du père, de l’oncle… d’un homme. Le viol conjugal n’est pas reconnu comme un crime et la violence morale trouve un terrain de prédilection dans la polygamie. Si une femme ose se rebeller, elle va être accusée de sorcellerie, de folie ou déclarée comme étant sous l’emprise des djinns. Toute la société est complice y compris les autres femmes. Et si un homme défend une femme, il deviendra aussi une victime.

Si le mariage est un échec, « ce sera à cause de la femme, toujours à cause de la femme. Dans une union une femme doit tout accepter, encaisser sans se plaindre ». Une violence perpétuée par les hommes mais aussi par les femmes, « les pères forcent mais les mères sont complices ».

Ce roman est une façon magistrale de dénoncer le sort de milliers de femmes et d’essayer de briser le silence sur cette soumission et l’absence d’émancipation. Un récit poignant, écrit brutalement, à l’image du vécu. Par les mots, elle place directement le lecteur face à la détresse de ces jeunes épouses, privées totalement de liberté et à qui, pourtant, on répète inlassablement qu’elles « ont de la chance » ! La chance d’être forcée physiquement, la chance d’être battue, la chance d’être au service de l’homme 24h/24, la chance d’être interdite de crier lors de l’accouchement, la chance de partager le mari avec d’autres épouses, la chance d’être une éternelle mineure, la chance d’être victime d’un amalgame entre religion et traditions vernaculaires, la chance de subir les mauvaises interprétations de l’islam, la chance qu’un homme, un mari, un père ne se remette jamais en question. La chance… soit belle, soumise et tais-toi !

Si l’écrivaine africaine s’arme de crayons de combat, c’est pour la femme, évidemment, mais aussi pour la mère qu’elle est devenue, refusant que ses filles soient un jour forcé par cette domination phallique. De la littérature comme exutoire à la création de « Femmes du sahel » en 2012 au Cameroun pour offrir une éducation à la femme et à la jeune fille et sensibiliser la société sur les mariages forcés et autres violences à l’encontre du genre féminin.

Djaïli Amadou Amal est lauréate 2019 du Prix Orange du Livre en Afrique pour « Munyal, les larmes de la patience » Editions Proximité (Cameroun) - Mars 2019

« C’est fini ! il ne me reste plus qu’à pleurer mes illusions perdues, verser toutes ces larmes contenues depuis si longtemps, pleurer pour mes amertumes passées et à venir ».

« Ô ma mère ! Que c’est dur d’être une fille, de toujours donner le bon exemple, de toujours obéir, de toujours se maîtriser, de toujours patienter ! »

« Il est difficile, le chemin de vie d’une femme ma fille. Ils sont courts ses moments d’insouciance. Elle est inexistante sa jeunesse. Elle n’a de joie nulle part  sauf là où elle l’aura hissée. Elle n’a de bonheur nulle part sauf là ou elle l’aura cultivé. A toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait durant toutes ces années ! J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs ! »

« On te l’avait déjà dit !  Une Peule ne pleure pas quand elle accouche. Elle ne se plaint pas. N’oublie pas de te retenir. A chaque instant de ta vie, tu dois te maîtriser et maîtriser tes sens. Ne pleure pas, ne crie pas, ne parle même pas ! Si tu pleures à ton premier accouchement, tu pleureras à tous les autres. Si tu cries, ta dignité sera bafouée. Il y aura toujours quelqu’un pour raconter au quartier que tu es une poltronne ».



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