lundi 25 février 2019


Une noisette, un livre


 Habiter le monde

Stéphanie Bodet




Habiter le monde pour mieux le regarder, pour tracer sa route dans l’intégrité de son âme, pour mieux comprendre ce qui peut échapper. Habiter le monde pour s’accrocher à ce que l’univers peut nous offrir tout en prenant conscience de la nécessité de le protéger. Habiter le monde pour mieux voyager à l’intérieur de soi-même.

Ne pas toujours se fier à la quatrième de couverture car le menu littéraire peut se révéler bien plus succulent que la mise en bouche proposée ; ce premier roman de Stéphanie Bodet est tout simplement une bouffée d’air pur et une invitation à penser positivement.

Emily reçoit un jour un appel téléphonique qu’elle redoutait depuis longtemps étant donné le comportement ordalique de son mari : l’annonce de son décès brutal lors d’une escalade. Choc immense pour cette jeune femme qui pratique également ce sport mais sans prendre autant de risques que feu son Tom. Elle s’enfuit dans les Calanques pour s’isoler et, au fond d’une grotte, elle réalise qu’elle doit évacuer, continuer son chemin de vie mais différemment, avec encore plus d’authenticité et de simplicité. Elle quitte les Alpes pour retrouver Paris et c’est lors d’une nidification sur le bord de sa fenêtre que la jeune femme s’aperçoit qu’elle est enceinte de son compagnon disparu. Progressivement les années passent, sa fille Lucie s’avère d’une maturité exceptionnelle, puis c’est la rencontre avec Mark, une rencontre qui prend la forme d’une délicatesse ailée d’élégance…

En tant qu’écureuil arboricole, j’ai noté l’importance qu’accorde la narratrice aux arbres, ces êtres végétaux capables de devenir des sources de renouveau tout comme la terre et la spiritualité qu’elle peut inspirer. Sans oublier la poésie qui en découle avec les références à l’un de ses maîtres contemporains : Christian Bobin.

Un récit qui sous la douceur des mots souligne avec brio de nombreux sujets de société comme la surconsommation, le marketing sauvage, l’écologie, l’éducation (sur les passages de l’intégration scolaire j’ai eu envie d’embrasser l’auteure sur le museau), les relations intergénérationnelles (Marcellin et sa sagesse) mais également sur cette notion du temps qui passe et que l’on a trop tendance à le laisser s’échapper, un peu de philosophie dans le tourbillon de la vitesse humaine permet de prendre un peu de hauteur…

L’autre point qui charme considérablement est la rencontre amoureuse. D’abord avec Tom mais surtout avec Marc. Combien de romans, combien de récits tombent si rapidement dans des amours rapides et hélas trop souvent tournées vers uniquement le sexe avec un vocabulaire oscillant entre cul et baise. Là, on assiste à une rencontre bien plus cérébrale sans occulter heureusement le côté physique mais avec la délicatesse du verbe et l’élégance des sentiments. Peut-être que d’aucuns trouveront cette forme un peu désuète mais franchement une rencontre sentimentale qui s’ouvre sur un déjeuner avec une discussion sur la poétique de l’espace de Gaston Bachelard, cet espace vécu selon les imaginations dans nos âmes, est d’une richesse absolue. S’ensuivent les références littéraires et les réflexions sur la symbolique de la nature ou l’éloge de la cabane. Puis, à l’heure du numérique et du tout virtuel, c’est une relation épistolaire comme au temps jadis que les futurs amants échangent. Livresquement romanesque.

Un roman à lire en prenant son temps, pour savourer chaque paragraphe, chaque rencontre dans cette galerie de personnages, ces instants où les lettres subliment la poésie de l’esprit. Parce qu’il a été écrit avec une plume lumineuse dotée d’un cœur qui bat intensément et humainement.

« Ces escapades la ravissaient mais elle appréciait de redescendre, de faire de simples promenades dans les bois, de chercher des chanterelles ou de cueillir les dernières framboises sauvages. Elle sentait qu’elle appartenait à cet étage alpin, l’étage médian, celui des alpages à l’orée des forêts, des myrtilles et des granges serties d’une herbe tendre, piquetée de l’étoile bleue des gentianes. L’étage des bêtes et des hommes ».

« C’est parce qu’il n’y a pas une minute à perdre qu’il faut prendre son temps ».

« Le jardin est une école de philosophie ».



Stéphanie Bodet – Habiter le monde – Editions Gallimard/Collection L’Arpenteur – Janvier 2019

Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019








2 commentaires:

brigittem a dit…

Bonjour, je découvre votre blog grâce à Instagram et je me régale de vos mots Merci

Squirelito a dit…

Merci beaucoup pour votre retour et votre message. Bienvenue sur ma branche livresque et belles lectures à vous. Noisettement vôtre,

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