Une noisette, un livre
San Perdido
David Zukermann
C’est
sur l’isthme de Panama que sont arrivés les premiers esclaves noirs au XVI°
siècle et nul n’ignore que leurs conditions de vie étaient dignes des antres de
l’enfer. Avec la force restante, ils s’enfuyaient et se rebellaient, recevant
le nom de « Cimarron » par rapport à la couleur de leur peau. En
1548, ils organisent un royaume avec à la tête Bayano Ier. Rapidement c’est la
défaite mais les Cimarrones ne s’avouent pas vaincus, et même, ils progressent
en nombre formant de petits royaumes. Mais à la fin du siècle, après une
reprise par la ruse des colonisateurs, les esclaves rebelles sont éliminés,
seuls quelques uns subsistent dans des petites « palenques » jusqu’à
la fin de l’esclavage au XIX° siècle.
C’est
ce chapitre de l’histoire latino-américaine qui est la source du premier roman
publié de David Zukerman. Les siècles se sont succédés et on se retrouve au
milieu du XX° siècle à San Perdido, petite ville côtière du Panama. Au départ,
c’est dans la sinistre et inqualifiable décharge de La Lagrima qu’intervient en
premier le personnage de Félicia, une femme vieillissante et sans enfant. Elle
a toujours vécu dans ce bidonville et essaie de survivre comme elle le peut.
C’est elle qui repère un étrange petit garçon, vivant seul, à la peau d’ébène
et aux étranges yeux céruléens. Il est muet et semble impassible. Mystérieux,
il est doté de mains puissantes, hors du commun pour un enfant de son âge. Il
semble tout deviner et semble vouloir toujours aider son prochain malgré l’état
de misère dans lequel il se trouve. Surnommé au départ « La
Langosta », puis la Mano, son nom
est Yerbo Kwinton. Mais ce que Félicia ignore c’est l’existence de Rafat et
d’une communauté vivant dans une forêt…
Rapidement
Yerbo se fait le justicier silencieux au service des malheureux, des opprimés,
des femmes maltraitées, des enfants battus. Il inquiète autant qu’il séduit.
Fascinant, cabalistique. A l’opposé de la philanthropie, se trouvent le
gouverneur Lamberto, un taureau libidineux et fougueux, et son conseiller intriguant Carlos
Hierra ; bienvenue dans le monde de la corruption et de toutes les
déviances possibles. Entre, toute une galerie de personnage, du bon docteur à
la Madame Claude locale, en passant par la superbe Hissa et le vaillant
Augusto.
Remarquable
récit avec un personnage de roman absolument envoûtant qui permet de retracer
l’histoire du Panama, de décrire la bassesse de la politique et de la mainmise
des Etats-Unis sur l’Amérique Centrale avec toutes les dérives qui en
découlent. A l’aide d’un ton juste, l’auteur invite le lecteur dans une
immersion totale dans un univers inconnu et pourtant ô combien réel. L’écriture
est à la hauteur des ingrédients utilisés pour le fond, la forme ne prenant
jamais le chemin de la vulgarité facile même pour les descriptions les plus
intimes et audacieuses.
Parsemé
d’humanité, les sentiments se confondent, se rencontrent ; ils s’envolent
pour mieux revenir dans une finale surprenante et quasi mystique. C’est beau
comme Yerbo, c’est cynique comme la déliquescence des gens de pouvoir,
déchirant comme la vie des oubliés, lyrique comme un conte déguisé dans les
méandres des destins réels.
« San
Perdido » ou « La Mano » celle d’une main livresque se tendant
comme une légende…
« La première chose que Félicia a
remarqué chez l’enfant a été la force de ses mains, la deuxième a été son
intelligence (…) il offre un regard clair mais suit un chemin dont nul ne
connaît les détours ou l’aboutissement ».
San
Perdido – David Zukermann – Editions Calmann Levy – Janvier 2019
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