Une noisette, un livre
Habiter le monde
Stéphanie Bodet
Habiter
le monde pour mieux le regarder, pour tracer sa route dans l’intégrité de son
âme, pour mieux comprendre ce qui peut échapper. Habiter le monde pour
s’accrocher à ce que l’univers peut nous offrir tout en prenant conscience de
la nécessité de le protéger. Habiter le monde pour mieux voyager à l’intérieur
de soi-même.
Ne
pas toujours se fier à la quatrième de couverture car le menu littéraire peut
se révéler bien plus succulent que la mise en bouche proposée ; ce premier
roman de Stéphanie Bodet est tout simplement une bouffée d’air pur et une
invitation à penser positivement.
Emily
reçoit un jour un appel téléphonique qu’elle redoutait depuis longtemps étant
donné le comportement ordalique de son mari : l’annonce de son décès brutal lors d’une escalade. Choc immense pour cette jeune femme qui pratique également
ce sport mais sans prendre autant de risques que feu son Tom. Elle s’enfuit
dans les Calanques pour s’isoler et, au fond d’une grotte, elle réalise qu’elle
doit évacuer, continuer son chemin de vie mais différemment, avec encore plus
d’authenticité et de simplicité. Elle quitte les Alpes pour retrouver Paris et
c’est lors d’une nidification sur le bord de sa fenêtre que la jeune femme
s’aperçoit qu’elle est enceinte de son compagnon disparu. Progressivement les
années passent, sa fille Lucie s’avère d’une maturité exceptionnelle, puis
c’est la rencontre avec Mark, une rencontre qui prend la forme d’une
délicatesse ailée d’élégance…
En
tant qu’écureuil arboricole, j’ai noté l’importance qu’accorde la narratrice
aux arbres, ces êtres végétaux capables de devenir des sources de renouveau
tout comme la terre et la spiritualité qu’elle peut inspirer. Sans oublier la
poésie qui en découle avec les références à l’un de ses maîtres
contemporains : Christian Bobin.
Un
récit qui sous la douceur des mots souligne avec brio de nombreux sujets de
société comme la surconsommation, le marketing sauvage, l’écologie, l’éducation
(sur les passages de l’intégration scolaire j’ai eu envie d’embrasser l’auteure
sur le museau), les relations intergénérationnelles (Marcellin et sa sagesse) mais
également sur cette notion du temps qui passe et que l’on a trop tendance à le
laisser s’échapper, un peu de philosophie dans le tourbillon de la vitesse
humaine permet de prendre un peu de hauteur…
L’autre
point qui charme considérablement est la rencontre amoureuse. D’abord avec Tom
mais surtout avec Marc. Combien de romans, combien de récits tombent si
rapidement dans des amours rapides et hélas trop souvent tournées vers uniquement
le sexe avec un vocabulaire oscillant entre cul et baise. Là, on assiste à une
rencontre bien plus cérébrale sans occulter heureusement le côté physique mais
avec la délicatesse du verbe et l’élégance des sentiments. Peut-être que
d’aucuns trouveront cette forme un peu désuète mais franchement une rencontre
sentimentale qui s’ouvre sur un déjeuner avec une discussion sur la poétique de
l’espace de Gaston Bachelard, cet espace vécu selon les imaginations dans nos
âmes, est d’une richesse absolue. S’ensuivent les références littéraires et les
réflexions sur la symbolique de la nature ou l’éloge de la cabane. Puis, à
l’heure du numérique et du tout virtuel, c’est une relation épistolaire comme
au temps jadis que les futurs amants échangent. Livresquement romanesque.
Un
roman à lire en prenant son temps, pour savourer chaque paragraphe, chaque
rencontre dans cette galerie de personnages, ces instants où les lettres
subliment la poésie de l’esprit. Parce qu’il a été écrit avec une plume
lumineuse dotée d’un cœur qui bat intensément et humainement.
« Ces escapades la ravissaient
mais elle appréciait de redescendre, de faire de simples promenades dans les
bois, de chercher des chanterelles ou de cueillir les dernières framboises
sauvages. Elle sentait qu’elle appartenait à cet étage alpin, l’étage médian,
celui des alpages à l’orée des forêts, des myrtilles et des granges serties
d’une herbe tendre, piquetée de l’étoile bleue des gentianes. L’étage des bêtes
et des hommes ».
« C’est parce qu’il n’y a pas une
minute à perdre qu’il faut prendre son temps ».
« Le jardin est une école de
philosophie ».
Stéphanie Bodet – Habiter le monde –
Editions Gallimard/Collection L’Arpenteur – Janvier 2019
Livre lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2019
2 commentaires:
Bonjour, je découvre votre blog grâce à Instagram et je me régale de vos mots Merci
Merci beaucoup pour votre retour et votre message. Bienvenue sur ma branche livresque et belles lectures à vous. Noisettement vôtre,
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