lundi 27 novembre 2017


Une noisette, une interview

 

 

Gaspard Gantzer

 

« J’ai appris qu’en politique rien ne se passe jamais comme prévu et le plus improbable finit toujours par arriver. »

 

 

 
Le 24 avril 2014 Gaspard Gantzer franchit les portes du Château, il vient d’être nommé « chef du pôle communication à la Présidence de la République », c'est-à-dire, conseiller en communication de François Hollande. Il restera auprès de lui jusqu’à l’élection de son successeur et aujourd’hui il nous livre, dans un document étonnant, sa feuille de route, tout ce qui fait le roman de la politique, sport de combat, certes, mais aussi une épreuve d’endurance, tant physiquement que psychiquement.
Le récit du communiquant va au-delà de la simple narration politique, c’est à la fois un témoignage sur une partie du quinquennat de François Hollande mais, également, une fine analyse politique avec des demi-teintes subtiles que vous savourez comme des noisettes fraîches, pigmentées d’humour et de quelques détails jusque-là inconnus qui apportent la plus-value nécessaire à ce livre.
De longs paragraphes sont consacrés au nouveau locataire de l’Elysée, Emmanuel Macron, mais également à celui qui fut son rival durant plusieurs années, Manuel Valls... Quand un homme de l’ombre met la lumière, c’est un bel éclairage sur l’un des chapitres de la V° République ! Rencontre avec l’auteur…
 
Gaspard Gantzer, les descriptions que vous apportez sont méthodiques, comme pour un journal de bord. Pensiez-vous dès votre arrivée à l’Elysée (et pas seulement en vous rasant) écrire un livre pour raconter le vécu de ces 3 années passées auprès de François Hollande ?
Depuis que je travaille avec des hommes politiques, j’ai pris l’habitude de prendre des notes. J’ai noirci de nombreux carnets quand je travaillais pour Christophe Girard puis Bertrand Delanoë à la Ville de Paris, puis auprès de Laurent Fabius au Quai d’Orsay. Cela me permettait de me souvenir de ce que j’avais à faire au quotidien et de garder une trace des moments vécus avec ces hommes politiques exceptionnels. J’ai continué à le faire à l’Elysée, sans savoir ce que j’en ferai à l’issue du quinquennat. Quand François Hollande a décidé de ne pas être candidat à sa réélection, j’ai décidé d’en faire un livre, pour donner ma version de l’histoire, fournir mon témoignage subjectif de l’incroyable histoire de ce quinquennat.
 
Pendant longtemps les hommes de l’ombre sont restés dans les souterrains de la sphère politique, puis, peu à peu, sont allés vers l’éclairage médiatique. Vous-même, lors d’un document diffusé sur France 3 (Un temps de président) apparaissez fréquemment, d’ailleurs vous le soulignez dans votre livre sur vos « mémoires élyséennes ». Le devoir de réserve, le grillon qui veut vivre caché, sont désormais des lointains mirages ?
Je n’ai jamais cherché la lumière. J’ai été le premier embarrassé d’apparaitre souvent dans le film d’Yves Jeuland.
Je ne suis cependant pas le premier conseiller d’un Président de la République à être un peu exposé. De Jacques Attali à Henri Guaino, en passant par Hubert Védrine, Anne Lauvergeon ou encore Dominique de Villepin, les exemples sont très nombreux sous la 5ème République.
 
Vous relatez l’opinion d’Emmanuel Macron sur la V° République par rapport à un entretien qu’il avait donné en 2015 à la revue Le 1. Vous semblez émettre une réserve sur l’intérêt des citoyens sur cette image de « président planqué sur son Olympe ». Pourtant, les fastes et le protocole sont toujours d’inspiration royale ? Ou est-ce l’un des paradoxes français ?
Les Français ont parfois des aspirations contradictoires. Ils sont attachés à la figure présidentielle, régalienne et verticale, d’inspiration gaullo-mitterrandienne, et, en même temps, ils veulent plus de simplicité, de transparence et de proximité dans l’exercice du pouvoir élyséen. Pour ma part, je pense que la démocratie française gagnerait à être moins monarchique dans l’organisation du pouvoir et à aller vers davantage de contrôle démocratique, par les parlementaires et les citoyens eux-mêmes, qui devraient pouvoir donner leur avis en dehors des consultations électorales.
 
Toujours à propos du nouveau locataire du 55 Faubourg st Honoré vous déclarez « ni lui, ni moi ne confondons la politique et l’amitié » ? N’est-ce pas, parfois, un exercice d’équilibriste ?
Quand je suis arrivé à l’Elysée, je connaissais Emmanuel Macron depuis quinze ans. Nous étions amis depuis longtemps. Nous le sommes restés quand j’étais à l’Elysée et lui à Bercy. Quand il en est parti, nous avons arrêté de nous parler quelques mois. Sur le moment, je n’avais pas bien pris son départ du gouvernement, même si je l’ai compris plus tard. Puis, nous avons renoué en décembre 2016, quand François Hollande a renoncé à être candidat. A partir de ce moment, il ne pouvait plus y avoir de problèmes et j’ai été ravi qu’il réussisse une belle campagne qui lui a permis de l’emporter au final contre la candidate de l’extrême-droite.
 
Après tant de rivalités, le rapprochement progressif de Manuel Valls au mouvement d’Emmanuel Macron a dû vous surprendre ?
Oui, cela m’a beaucoup surpris ! Mais j’ai aussi appris qu’en politique rien ne se passe jamais comme prévu et le plus improbable finit toujours par arriver !
 
La publication du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme a été le coup de poignard final pour la popularité de François Hollande. Vous n’avez jamais pu anticiper un tel pataquès ? Si à l’avenir vous étiez à nouveau un communicant auprès d’un haut politique, quel serait votre premier objectif, celui de se tenir relativement éloigné des journalistes ?
François Hollande avait commencé à voir ces journalistes avant mon arrivée. Il pensait que c’était utile pour replacer son action dans le temps long, pour faire le récit du quinquennat. L’idée était intéressante, mais le résultat n’a pas été bon. Ce livre a déclenché une vive polémique et donné l’occasion aux adversaires du Président de l’attaquer sans retenue.
 
Je ne serai plus conseiller d’un homme politique, mais je ne recommanderai pas pour autant de tenir trop éloigné les journalistes. Ils sont indispensables au bon fonctionnement démocratique. Les médias sont un contre-pouvoir dont nous avons absolument besoin.
 
L’appel téléphonique de Donald Trump à François Hollande est d’un surréalisme burlesque. Est-ce la plus grande bouffonnerie que vous avez vécue ou bien vous en mettez en réserve pour raconter plus tard ?
Je crois que c’est certainement le moment le plus surréaliste et tragi-comique de la fin du quinquennat. C’était vraiment hallucinant !
 
Voyez-vous toujours François Hollande ? Et quel souvenir le plus intense gardez-vous de lui ?
Je le vois de temps en temps, mais beaucoup moins souvent qu’avant. J’ai toujours beaucoup de plaisir à discuter avec lui. Il est toujours aussi intelligent, sympathique et drôle.
Le moment le plus intense que nous avons vécu ensemble est certainement la marche du 11 janvier 2015. Ce jour-là, des millions de citoyens et tous les chefs d’Etat et de gouvernement de la planète s’étaient donné rendez-vous pour défendre les libertés et la culture.  
 
Riche de votre expérience, quel serait le premier conseil que vous pourriez donner à votre remplaçant à l’Elysée ?
Je n’ai aucun conseil à donner à ceux qui ont pris ma suite à l’Elysée. Ce sont de très bons professionnels, qui ont parfaitement compris l’impact de la révolution numérique sur la communication politique et, surtout, font tout pour faire comprendre l’action du Président. C’est l’essentiel, car la communication n’a de sens que si elle est au service du fond.
 
Pour terminer, le petit quiz traditionnel que les lecteurs de l’écureuil affectionnent particulièrement :
-         Un roman : Le Rouge et le Noir de Stendhal 
-         Un personnage : Marco Stanley Fogg, le héros de Moon Palace de Paul Auster
-         Un(e) écrivain(e) : Romain Gary
-         Une musique : Allo Paris de Mano Solo
-         Un film : Le Père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré
-         Un peintre : Henri Matisse
-         Une photographie : Celle de mes enfants
-         Un animal : Le chat
-         Un dessert : Le Paris-Brest
-         Une devise/citation : « Vis maintenant ! Risque-toi aujourd’hui ! Agis tout de suite ! Ne te laisse pas mourir lentement ! Ne te prive pas d’être heureux » de Pablo Neruda
 
La politique est un sport de combat – Gaspard Gantzer – Editions Fayard – Novembre 2017
 
 
 
 

2 commentaires:

La plume et la page a dit…

Un entretien fort intéressant. C'est vrai que ça m'a toujours intriguée les coulisses du pouvoir... Et je devrais faire mienne sa devise de Neruda. Il faut agir maintenant. Demain il sera trop tard.

Squirelito a dit…

Merci pour votre commentaire "La plume et la page". Ces coulissent ouvrent un vaste rideau sur le théâtre de la politique. A lire vraiment. Quant à Pablo Neruda, siempre palabras maravillas...

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