vendredi 3 novembre 2017

Une noisette, un livre

 

Légende d’un dormeur éveillé

Gaëlle Nohant


 


Le livre est un outil magique. Celui de pouvoir vivre une histoire avec son auteur, celui de faire battre votre cœur selon les pulsations des vocables, celui de vous immerger dans un passé que vous n’avez pas connu et pourtant qui vous semble soudainement si proche. Ou encore, tourner les premières pages et sentir une odeur de café, la discussion d’un groupe d’amis, une musique cubaine ou un air de jazz, le bruit des pas sur l’asphalte. C’est l’effet de la « Légende d’un dormeur éveillé », où l’on entre en communion avec l’âme de Robert Desnos, ce « rêveur lucide ».

Inutile de présenter Robert Desnos, chantre du surréalisme (même s’il déclara son désamour avec certains de ses représentants) qui déploya une énergie considérable pour mettre de la poésie sur chaque instant de vie, même les plus noirs. Il était total, engagé, volontaire, débordant d’amour pour ses amis et de colère envers les haineux. Sincère jusqu’à la moelle il s’éloigna jamais de ses convictions même lorsque la mort se penchait sur son épaule, c’était Robert Desnos, la résistance dans la lucidité et une bravoure artistique.

Le dernier opus de Gaëlle Nohant n’est pas un roman, c’est un hommage lumineux au poète et journaliste, on peut le qualifier de monument, un monument aux multiples colonnes travaillées avec une recherche absolue de l’esthétisme et de la précision d’un orfèvre. Un fabuleux voyage dans le passé avec Jacques Prévert, Paul Eluard, Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca, Jean-Louis Barrault…, qui séduira tous les amoureux de littérature, de théâtre, de cinéma, ces amoureux de cette époque créatrice qui ne cessait de casser les codes, franchir les interdits, déclamer une soif de liberté… comme si une ombre prémonitoire leur avait susurré d’en profiter… Car quelques années plus tard, combien déverseront leur sang devant les ogres de l’enfer…et combien le roman de Gaëlle Nohant sait transcrire par des phrases d’une extrême méticulosité cette période de renouveau artistique avant qu’une bête immonde n’arrache la vie à des millions de personnes. Un livre qui laisse rêveur mais l’hypnose se brise lorsque le récit arrive à l’arrestation de Robert Desnos et l’Amour avec un grand A entre en scène : celui de Youki, la Sirène indomptable qui se révèle une amoureuse admirable déployant toutes ses forces pour son bien-aimé. Gaëlle Nohant transforme sa plume en une immense maestria d’émotion, tant qu’à la fin de l’ouvrage ce sont des larmes qui se mettent à ruisseler instinctivement dans cet opéra littéraire où le héros succombe face à l’absurdité de la fatalité.

Mais c’est l’amour qui, vraiment, est l’un des fils conducteurs de ce récit. L’amour qui évite la haine, la vengeance. C’est l’amour des mots, des phrases, des textes, l’amour de l’art, l’amour entre les êtres, l’amour de la différence, l’amour de la liberté.

Une légende à répandre comme des libations à une divinité poétique qui réveille en nous nos plus profonds émois.

"Poser sa tête sur un oreiller
Et sur cet oreiller dormir
Et dormant rêver
À des choses curieuses ou d’avenir,

Rêvant croire à ce qu’on rêve
Et rêvant garder la notion
De la vie qui passe sans trêve
Du soir à l’aube sans rémission.

Ceci est presque normal,
Ceci est presque délicieux
Mais je plains ceux
Qui dorment vite et mal,

Et, mal éveillés, rêvent en marchant.

Ainsi j’ai marché autrefois,
J’ai marché, agi en rêvant,
Prenant les rues pour les allées d’un bois.

Une place pour les rêves
Mais les rêves à leur place."


Légende d’un dormeur éveillé – Gaëlle Nohant – Editions Héloïse d’Ormesson – Août 2017

Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2018
 
 

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