mardi 18 avril 2017


Une noisette, un livre, une interview

 

Un Fauve

 

Enguerrand Guépy

 

 


 Une élégance de chat, un mystère félin, un tempérament indomptable, un coup de griffe imprévisible, un lion photogénique... un fauve ! Et pourtant, une fragilité à fleur de peau.

Le romancier Enguerrand Guépy livre un récit scripturaire absolument magistral sur l’acteur, pourtant inénarrable : Patrick Dewaere.
La vie est un roman et par le roman on cerne les contours d’un destin. C’est ce qu’a souhaité l’auteur afin que chacun puisse mieux appréhender la personnalité de cet écorché vif.
Le roman se concentre sur les dernières heures du comédien, à l’aube du nouveau tournage d’ « Edith et Marcel » de Claude Lelouch, et se termine dans une fin crépusculaire où le chemin de vie va s’arrêter pour cause d’un amoncellement de peurs, de regrets, de souvenirs néfastes, d’incompréhensions accumulés sur le bord et même en plein milieu.
Cette narration permet de plonger au cœur des angoisses et des doutes de Patrick Dewaere en se transposant dans la France des années 80. Une approche psychologique qu’aurait certainement apprécié l’acteur tellement c’est un filtre de son esprit. Tant, qu’au fil des pages naît une sensation étrange : on ne lit plus, on entend sa voix égrener chaque vocable...
Plus qu’une biographie, plus qu’un hommage, c’est tout simplement Patrick Dewaere, aussi vivant et bouleversant que ses personnages incarnés à l’écran.    

 1 – Vous avez choisi le roman pour décrire la fin tragique de Patrick Dewaere. Pour quelles raisons ? Parce que sa vie est un scénario, parce que la fiction est un décryptage de la réalité ?
Je crois que Patrick Dewaere réclamait une incarnation et que la forme romanesque me semblait la plus appropriée. J’avais également le sentiment que les biographies existantes si elles donnaient une vision assez juste de ce qu’était Dewaere, m’apparaissaient trop neutres, et que le « cas Dewaere » nécessitait une prise de risque.  Mais c’est surtout que je n’ai pas réussi à faire autrement, aussi bien sur le choix du moment que du traitement.

 2 – Vous n’avez jamais rencontré l’acteur et vous n’aviez que 8 ans lorsqu’il a mis fin à ses jours. Mais pourtant, vous le décrivez comme si c’était un frère. D’où viennent cette puissance et cette faculté de comprendre ce fauve fragile ?
Difficile de répondre à cette question. J’ai l’impression d’avoir toujours connu Dewaere et d’avoir simplement accepté de lui ouvrir la porte. Le fait d’avoir travaillé avec l’un de ses frères m’a indéniablement donné des clés pour mieux le cerner. Après, j’avais la passion de mon personnage et la volonté d’aller au bout de cette aventure avec lui.

 3 – A la fin, il y a cette scène du taxi absolument révélatrice de l’idiosyncrasie en cristal de Patrick Dewaere. Est-ce le témoignage de Charles Gérard, qui l’a vu peu de temps avant le suicide, qui vous a inspiré ou bien ce chauffeur de taxi a vraiment existé ?
Le témoignage de Charles Gérard résume assez bien Dewaere sur cette funeste journée. Au sortir du club 13 où il vient de déjeuner avec Claude Lelouch, Charles Gérard se propose de le conduire  à la salle de Boxe de Marcel cerdan Junior pour son entraînement quotidien. La voiture démarre mais au bout de 500 mètres Dewaere demande à descendre, prétexte qu’il a envie de marcher. Charles Gérard le voit disparaître dans la foule puis réapparaître puis disparaître pour de bon. Il se dit que tout est normal car Dewaere a la réputation d’être fantasque. Il est loin de s’imaginer le tour que va prendre cette fantaisie.  La suite, cette rencontre avec ce chauffeur de taxi zaïrois, je l’ai conçue comme le point de bascule et une ultime confrontation du personnage Dewaere avec ses démons.

 4 – Son père biologique est décédé à 35 ans. Exactement le même âge lorsque Patrick Dewaere a décidé de quitter la terre. Est-ce un hasard ?
C’est troublant tout comme la réplique qu’il entonne sur Mozart dans Préparez vos mouchoirs et qui sonne comme une terrible prémonition « Tu parles! Le pauv' mec, il est mort à 35 ans! 35 ans! Tu te rends compte de la perte? » 
Cependant, le 16 juillet 82, les raisons objectives pour qu’il jette l’éponge sont nombreuses. C’est un homme las - près de trente ans de carrière - cerné par les ennuis ; la drogue, les dettes, son couple avec Elsa qui bat de l’aile, un métier qui ne le comble pas…

 5 – Vous faites souvent allusion au « gros ». Avec Gérard Depardieu, c’était « je t’aime, moi non plus » ?
Pas exactement. Au départ, Dewaere et Depardieu, c’est une formidable collaboration artistique doublée d’une réelle amitié. Au fil des années, Ils sont devenus malgré eux des rivaux. Disons que pour Dewaere, être toujours considéré comme le numéro 2 et recevoir les scénarios que Depardieu ne voulait pas, cela devenait difficile à vivre. A cela s’ajoute Depardieu plébiscité par la profession et Dewaere toujours laissé de côté pour les récompenses. Mais il n’était absolument pas envieux du succès de Depardieu qu’il jugeait parfaitement justifié. Il estimait simplement qu’il le méritait tout autant voire un peu plus parce qu’il était tout de même le meilleur acteur de sa génération.

 6 – « Il avait une étiquette dans le dos et l’étiquette, en France, cela avait quelque chose de chamanique. On ne devait pas y toucher sous peine de sacrilège » Cette phrase, à propos de la sortie d’un disque qui n’avait pas fonctionné, relève de l’ineptie de ce que je j’appelle « les rangements de tiroirs ». Pensez-vous, qu’une évolution pointe son museau ou bien, au contraire, le glissement de terrain continue pour ceux qui voudraient déraciner la normalité ?
C’est certain qu’en France, on est rangé dans une case et après il est difficile d’en sortir. J’ai tout de même l’impression que les choses tendent à évoluer et que c’est un peu moins vrai que par le passé. Mais peut-être que je me berce de douces illusions…

 7 – Par votre premier ouvrage « L’effervescence de la pitié » et par votre parcours, étiez-vous plus apte à peindre ce tableau de psychologie dewaerienne ?
C’est possible... Quand on lit L’effervescence de la pitié, on comprend mieux ce qui a pu me plaire chez Dewaere mais je ne suis pas sûr que mes supposés états de service me donnaient une plus grande légitimité. L’enfance chaotique nous rapprochait, certes ; mais en réalité, tout se joue  quand mon oncle allume sa radio et qu’un journaliste annonce son suicide. A cette seconde précise, Dewaere est entré de façon violente dans mon cœur. Je savais que tôt ou tard nous devrions nous en expliquer. Cela a donné Un Fauve.

8 – Le traditionnel questionnaire pour clore cette interview :
-        Un roman : Vie et Destin de Vassili Grossman
-        Un personnage : Raskolnikov
-        Un(e) écrivain(e) : Henry Miller
-        Une musique : Dance me to the End of Love de Léonard Cohen
-        Un film : L’arrangement d’Elia Kazan
-        Une peinture : Les pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt
-        Un photographe (ou une photographie) : William Klein
-        Un animal : Le chat
-        Un dessert : le millefeuille
-        Une devise ou une citation : « Il ne faut pas peindre la vie comme elle est, ni comme elle devrait être, mais telle que nous la voyons dans les rêves » Tchékhov.

 Un fauve – Enguerrand Guépy – Editions du Rocher – Décembre 2016 

(Enguerrand Guépy au Printemps du Livre de Montaigu le 9/04/2017 - Photo © Squirelito)
 

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