Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 28 décembre 2023

 

Une noisette, un livre,

Arletty, un cœur libre

Nicolas d’Estienne d’Orves

 


La vie d’Arletty, née Léonie Bathiat, est un roman, un destin que nul romancier aurait pu imaginer : en 1898, à Courbevoie, dans une masure, Léonie voit le jour en pleine nuit face à la Seine - mot quasi polysémique pour la future femme de théâtre qu’elle sera. Souffrant de problèmes respiratoires, elle part chez sa grand-mère en Auvergne et y garde, malgré son jeune-âge, un souvenir inoubliable. À peine deux ans plus tard, retour au bercail, ou presque. À Puteaux, dans un appartement un peu plus digne. Adolescente, elle verra son père mourir sous ses yeux lors d’un accident de tramway puis montera sur les planches : un grand théâtre de la vie qui sera la sienne. Jusqu’au jour où la nuit deviendra son seul domaine : fin des années 60, elle perd définitivement la vue.

Pourtant, elle a cru en un « Ciel », celui de son premier amour qui sera happé par le feu de la guerre en 1914. Cet amour platonique restera celui de sa vie et elle ne cessera de penser à cet homme, celui qui aurait pu devenir son mari. En apprenant sa mort, elle s’est jurée de ne jamais prendre un homme pour époux. Ce qu’elle fit. Libre elle a décidé, libre elle mourra.

Sa voix de crécelle et ses répliques dignes d’Audiard lui porteront chance pour trouver ses premiers engagements sur scène jusqu’au jour où le succès et la renommée l’entourent de ses bras avec Fric-Frac. Elle n’aime guère le cinéma mais il faut gagner sa vie. C’est avec lui qu’elle deviendra éternelle, depuis l’Hôtel du Nord jusqu’aux Enfants du Paradis, film qui la marquera pour les difficultés de tournage et sa mise à l’écart lors de la sortie : elle est suspectée de trahison avec l’ennemi. En cause : sa relation passionnée avec Hans Jürgen Soehring, un officier de la Luftwaffe.

Elle n’a jamais pactisé avec le diable et a même pu sauver de ses griffes Tristan Bernard (sauvetage que Sacha Guitry ramenait exclusivement à lui). Beaucoup d’artistes ont eu des soucis avec la période de l’épuration, le fait de jouer pendant la guerre étant synonyme de collaboration. Pourtant, certains y échappent comme Edith Piaf qui, pourtant, faisait plus que chanter du côté de la rue Lauriston… Toujours se méfier des indignations à géométrie variable et des effets de masse.

Jeux de scène, amours plus ou moins fugaces, la ligne d’Arletty a été bien sinueuse pour cette femme restée toujours droite dans ses bottes. Sans fard, avec sa gouaille, son franc-parler, elle se fichait des jugements que d’aucuns portaient sur elle : un cœur en morceaux mais une âme libre.

Nicolas d’Estienne d’Orves a pris les habits de l’actrice pour narrer son histoire, cette biographie se lit logiquement comme un roman, flamboyante comme la couleur garance. Et puis un livre où un écrivain qui énumère les titres d’une pièce dont « L’école des cocottes » et écrit au paragraphe suivant que « le succès est volatil » ne peut être qu’excellent !

« Fleur de pavé, j’ai toujours aimé la vraie nature. Non pas les arbres sous cloche d’un parc ou d’un square, mais la sauvagerie d’une terre indomptée. Lorsque j’achèterai ma petite maison de Belle Île, au début des années cinquante, je passerai des heures à contempler la mer déchirée par le vent. Quoi de plus rassurant que le spectacle des éléments livrés à eux-mêmes, sans cette pudeur que l’homme a toujours imposée aux choses ? Il y a tellement plus de liberté chez les feuilles, les racines, les mousses, les vagues, jusqu’aux nuages ».

« Un être qui a le don de donner la vie ne devrait pas être soldat ».

« Je suis contre toutes les guerres. Comment a-t-on osé parler de guerre sainte ? Le type qui a dit ça est un beau fumier ».  

« La comédie est un art qui ne s’apprend que sur scène, en respirant le même air que le public, en risquant chaque soir un faux pas. D’ailleurs, on a rarement vu un acteur de cinéma faire un malheur au théâtre. Il ne connaît pas les codes. Le cinéma est un art prodigieux, mais reste une illusion ! Le théâtre, en revanche, ne triche jamais ».

« La morale s’arrête devant la raison d’État ».

Arletty, un cœur libre – Nicolas d’Estienne d’Orves – Éditions Calmann-Lévy – Octobre 2023

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