Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 20 février 2022

 

Une noisette, une interview
Jean-Marie Quéméner
 
« La guerre est un détergent de caractère. Ce qui reste, taches et brillances, c’est la nature crue de l’âme humaine »

 
Grand reporter et correspondant de guerre pendant des nombreuses années, Jean-Marie Quéméner a fini par laisser choir le stylo pour ne laisser place qu’à une plume toute aussi percutante mais en plus romanesque. Son dernier opus, en librairie depuis le 13 janvier, est une histoire incroyable entre deux hommes – le tirailleur sénégalais Charles Ntchoréré et un officier allemand –  que tout oppose en juin 1940 sur le sol picard. Sauf, quelque chose qui aurait pu faire changer le cours de l’histoire : ils vont échanger tour à tour sur la guerre, l’honneur, la vie, la mort.

 



Sombre éclat. Le titre annonce déjà la couleur. Pourquoi cet oxymore ? Parce que l’Histoire en est un ?
J’ai choisi ce titre parce qu’il est venu naturellement à l’écriture pour décrire un éclat de soleil sur les bottes d’un SS, qu’il m’a parut évident que je tenais là une métaphore, et de la guerre et de mon roman.
 
Deux protagonistes. L’un a existé, l’autre pas, tout au moins pas de la façon dont vous décrivez cet officier prussien. Comment avez-vous élaboré cette rencontre ? Sur quels faits analogues ?
Je n’ai pensé à aucun fait analogue. Je voulais la rencontre entre deux êtres humains au delà de leurs différences, au delà de leurs idées reçues ou de principe. Je me suis contenté d’initier le dialogue. L’humanité a fait le reste. En fait, j’ai imposé à mes personnages la pire des situations et je leur ai demandé de se parler. Ils ont eu la gentillesse de le faire …
 
On connait l’issue tragique de votre roman. Pourtant, par le fil conducteur et ce dialogue intense au cœur des ténèbres, la vie semble gagner sur la mort. Les mots et l’écoute sont-ils les meilleures armes de paix pour lutter contre les armes létales ?
Les mots sont bien évidemment à double tranchant, pas l’écoute. Écouter l’autre, c’est déjà partager, dérouler les premières fibres de l’empathie peut-être, de la compréhension mutuelle certainement. Rien ne saura jamais lutter efficacement contre le désir de mort ou d’exclusion de certains. Les hommes sont ainsi. Ils sont aussi capables de se révéler par les mots. Créez une intimité avec quelqu’un et vous lui ferez baisser son arme … parfois, hélas, pas toujours.
 
Vers la fin du roman, apparait un officier SS. L’officier prussien est incorporé dans la Wehrmacht. Par de fines descriptions, vous pointez les différences qui existaient entre ces deux corps d’armée, une régulière et l’autre créée par les forces nazies. Avez-vous aussi entendu qu’un soldat SS avait régulièrement l’ascendant sur un officier de la Wehrmacht ?
Le corps d’armée créé spécialement par Hitler a pris l’ascendant politique très vite. C’est une constante (politique totalitaire sur militaire) de ces années de cauchemar et plus tard de l’armée soviétique.
Le politique doit contrôler le militaire et il vaut mieux pour tout le monde que ledit politique soit républicain et démocratique si je pense à la France notamment…
 
Est-ce dans les moments les plus sombres comme ceux des conflits, que paradoxalement certaines valeurs humaines surgissent ?
C’est enfoncer une porte ouverte que de dire que les crises, dont la guerre, révèle les héros et les salauds, les courages et les lâchetés. Mais elles les révèlent parfois chez le même homme, tour à tour bienveillant ou malfaisant, brave ou couard … La guerre est un détergent de caractère. Ce qui reste, taches et brillances, c’est la nature crue de l’âme humaine. 
 
Figure oubliée et que vous remettez en lumière, que sait-on de Charles Ntchorere ?
Ce que j’en écris en préambule et que je décris dans le livre. Si j’en avais le pouvoir, je ferais entrer cet homme au Panthéon. J’aurais aimé vraiment le connaître et je n’ai pu lui rendre que ce petit hommage. Quelques mots et lignes. Il mérite la reconnaissance de la patrie surtout par les temps qui courent. Il pourrait certainement en apprendre beaucoup aux actuels patriotes rances repliés sur une France fantasmée comblant leurs névroses intimes et leurs complexes d’infériorité. Un Ntchorere leur ferait du bien !
 
Avez-vous rencontré des anciens tirailleurs sénégalais et si oui, quels étaient leurs sentiments envers la France, envers l’armée française, envers les Français ?
Je n’ai pas eu la chance d’en rencontrer mais si cela avait été le cas, je me serais incliné bien bas. Et j’aurais écouté …
 
Combien de temps vous a-t-il fallu – recherches et écriture – pour faire naître « Sombre éclat » ?
Assez peu de temps. Je réunis ma documentation et j’écris. Vite. Pour ne pas perdre le fil. Je suis un mono maniaque de l’écriture. Je peux passer 14 heures devant mon ordinateur à écrire quand je suis décidé, chacun ses névroses…
 
Faites- vous partie de ces écrivains qui estiment que leur livre ne leur appartient plus du moment où il se retrouve dans les rayons des librairies ?
Une histoire n’appartient plus au conteur une fois racontée. Elle doit voyager et se transmettre. Vieille certitude de conteur breton… À partir du moment où j’envoie mon manuscrit à mon éditeur, j’estime qu’elle ne m’appartient déjà plus tout à fait et cela suffit à mon bonheur.
 
Parmi les autres écrivains journalistes qui résonnent en vous lisant, Patrice Franceschi arrive en tête. Justement, il semble que l’une de vos recommandation est « S’il n’en reste qu’une ». Avez-vous eu l’occasion de travailler ensemble ?
Non, je n’ai pas eu cet honneur. Je l’ai rencontré. Nous nous sommes bien entendus… bien entendu ! Patrice est un homme de convictions et d’aventures. Le genre de type avec lequel je partirais  bien en bateau pour une belle virée … ou au bar, pour le même résultat !
 
En parallèle de « Sombre éclat » sort au format poche « Le vent des soupirs » troisième opus de cette aventure des mers au XVIII° siècle. Pouvez-vous nous parler brièvement de cette trilogie ? Et de son héros Yann Kervadec.
C’est mon bébé cette trilogie ! J’y mets tout ce que je suis, tout ce que j’aurai pu ou voulu être, tous ceux qui m’ont marqué et comme je trouve ça prétentieux, je m’invente un personnage du XVIII° et je ne suis pas le héros principal… lui, il a grandi sans moi. Et j’aime beaucoup ce qu’il est devenu.
Si vous aimez la liberté et ce qu’elle implique de joies et de peines, de sacrifices, vous aimerez. Précisons que je ne suis pas si loin du thème de Sombre Éclat. Mais il faut la lire pour comprendre…
 
La mer, l’océan font partie de vos sources de création ?
Il faudrait avoir la sensibilité d’un bulot pour ne rien ressentir face à l’océan. C’est le miroir exponentiel de nos sentiments…et ma source de jouvence. Mon confident aussi, lui et le vent.
 
Écrire, lire sont des voyages sédentaires ?
J’ai toujours été nomade. Et j’ai toujours écrit. J’essaie seulement d’apprendre en marchant.
 
Et pour vous connaître davantage
 
Le livre que vous auriez aimé écrire
Les croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf
Un objet fétiche
Mon couteau 
Un personnage de roman avec lequel vous aimeriez partir pour un périple en mer
Ulysse, pour voir à quel point il a été malchanceux ou mauvais pour mettre autant de temps avant de trouver son chemin
Écriture en silence ou en musique
En musique. Selon les scènes et leur tessiture, ça peut aller de Goldman à Aerosmith… Grosse dominante de Bowie pour être précis.
Le fait qui vous a le plus marqué lors de vos divers reportages sur le terrain
Tous ceux qui m’ont déchiré. Il y en beaucoup. Je dois avoir le cœur en patchwork avec des coutures plus ou moins visibles.

 ð Sombre éclat – Editions Plon – Janvier 2022 – Chronique à lire ICI
 ð Le vent des soupirs – Editions Pocket – Janvier 2022

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