mardi 9 novembre 2021

 

Quand une noisette devient un prix littéraire
 
Mon maître et mon vainqueur
François-Henri Désérable

 

© Squirelito

La déesse Athéna semblait sourire en voyant descendre depuis la petite salle des séances une élégante compagnie que l’on nomme Académie française. En ce 28 octobre, si le ciel était gris, une lumière vive tapissait les murs de l’Institut de France où allait se proclamer, en bas de l’escalier, le lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française. Presse, éditeurs, attachées de presse avançant masqués, certes, mais désormais chaque regard est une grand page ouverte, pour découvrir qui serait en cet an 2021 l’heureux élu.

Trois titres de la rentrée littéraire restaient sélectionnés et non des moindres :

-          ₶ Mon maître et mon vainqueur de François-Henri Désérable

-          ₶ Le Dernier Tribun de Gilles Martin Chauffier

-         ₶  La plus Secrète Mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

A 16 heures 46 minutes et 23 secondes (soyons précis) le vainqueur était un maître, non sur un arbre perché mais probablement sur un nuage en entendant son nom par la voix de la Secrétaire perpétuelle, Hélène Carrère d’Encausse, entourée de ces  femmes et de ces hommes en habit vert – qui n’en portaient point ce jour là.

© Squirelito


Avant d’entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire le roman du sieur Désérable, rappelons que ce prix est plus que centenaire et que la date de sa création est symbolique : 1915. Au moment où la France était engagée dans une guerre épouvantable, l’institution du quai Conti créait un prix littéraire pour continuer à donner vie à la culture et à ceux qui la façonnent. Nul besoin d’énumérer les noms qui ornent cette prestigieuse galerie : Mauriac, Kessel, Lacretelle, Bernanos, Saint-Exupéry, Nourissier, Modiano, Schoendoerffer, Dormann, Nothomb, Littel, Ono-Dit-Biot… mais peut-être que l’année 1968 mérite que l’on se pose un instant, Albert Cohen était couronné des lauriers de l’Académie pour sa «  Belle du Seigneur ».

Pourquoi ? A la question posée à François-Henri Désérable sur ses premières impressions de recevoir les lauriers de l’Académie française, sa réponse fut sans appel : « Je ressens une joie immense et je ne cesse de penser à Belle du Seigneur d’Albert Cohen parce que c’est ce roman qui m’a fait devenir écrivain et qui m’a parlé en premier d’amour ». Comment alors ne pas évoquer les paroles de feu Yves Pouliquensur cette Belle « C’est un immense roman d’amour, l’histoire de ce couple a priori improbable qui va entretenir une passion quasi démente, riche des promesses d’un délice amoureux qui se voudrait absolu, éternel (…) et qui se terminera par la mort ».

De mort, il s’en est fallu d’un rien pour « Mon maître et mon vainqueur » car il s’agit aussi d’une histoire d’amour. Oh, une histoire relativement banale : un homme tombe amoureux d’une femme mariée. Quoi de plus commun et sujet maintes fois exploité. Un peu comme la base des opéras où un baryton apparaît toujours pour empêcher que le ténor et la soprano couchent ensemble. Ce qui fait la différence c’est le ton, le tempo, la mélodie. C’est exactement pareil pour l’opus de Désérable, tout est dans le rythme, l’interprétation, l’apparente facilité du glissement de la plume pour un récit aussi plaisant qu’érudit.

Maurice Genevoix disait, lors justement de la proclamation du Prix pour Belle du Seigneur, que « l’Académie voulait montrer que l’imagination reste la qualité majeure d’un romancier ». En 2021, les académiciens optent pour une attitude similaire.

Le narrateur est l’ami d’un mis en examen pour tentative de meurtre. Il est là, le narrateur, dans le bureau du juge pour expliquer – et en l’occurrence pour nous expliquer aussi – comment ce pistolet a pu être braqué par Vasco l’amant de Tina sur Edgar son mari, célèbre porteur d’une doudoune. Geste d’autant plus étrange que les protagonistes sont éperdus de Rimbaud et Verlaine.

Amours contrariées et impossibles, passion infinie et tourments entre un homme et une femme étrangement singuliers, singulièrement étranges qui forcent l’empathie au fur et à mesure de la narration. Car tout est affaire de cœur, même celui de Voltaire que l’auteur nous fait revivre lors d’un épisode particulièrement cocasse dans le salon d’honneur de la Bibliothèque Nationale de France, celle de Richelieu.

J’avoue en toute honnêteté avoir eu un peu de mal à me concentrer sur la lecture puisque le nom de Vasco m’a rappelé celui d’un chien, qui plus est avait l’habitude de voler tout ce qu’il avait à portée de patte ou de museau… Cela dit, dès l’incipit on sait déjà que le roman va nous surprendre, à commencer par la forme, puis progressivement par cette prestidigitation des vocables qui virevoltent dans un ballet à la fois presque cruel et étonnamment poétique, cet art de passer du noir au blanc en y mettant toutes les couleurs de la vie. Reste le protagoniste, invisible au milieu des personnages mais qui est le point culminant du roman, sorte de Karakorum sur la chaîne de l’humour : fantaisie et verve.  Croustillant – et je ne dis pas ça pour les scènes torrides entre Vasco et Tina – piquant et tel un artiste dans un one-man-show (pardon l’Académie française) François-Henri Désérable ne fait pas que raconter, il joue avec son public, avec son lectorat.


Es-tu doux ou dur ?

Es-tu sensible ou moqueur ?

Roman ?

Je n’en sais rien mais je rends grâce à l’écriture

Que tu aies fait de ton roman un maître et un vainqueur.


Mon maître et mon vainqueur – François-Henri Désérable – Editions Gallimard – Août 2021

Grand Prix du roman de l’Académie française 2021


© Squirelito


 

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