jeudi 24 septembre 2020

 

Une noisette, une rentrée littéraire #19
 
L’Année des deux dames
Catherine Faye – Marine Sanclemente

 


Décembre 1933, un langoustier vogue vers les côtes africaines. A son bord deux femmes : Odette du Puigaudeau et Marion Sénones. Les deux stylistes, qui forment un couple, n’ont aucune expérience d’aventurières mais veulent fuir une société patriarcale. Direction la Mauritanie et le désert.

Près d’un siècle plus tard, deux écrivaines voyageuses vont suivre leur pas dans ce carrefour entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, d’où un pays pluriethnique,  où perdurent une culture nomade et le sens de l’hospitalité mais en proie à quelques dérives.

Ce récit a un double intérêt : celui de mettre en lumière deux femmes oubliées et offrir une vision réaliste d’un pays où il n’y a pas que du sable, même si certains lieux, comme la ville de Chinguetti, risquent un jour d’être engloutis par des vagues dorées, en une nouvelle version de l’Atlantide.

Pourtant, Odette et Marion sont loin d’être ignorées en Mauritanie et leur passage ont marqué plusieurs générations, tant, que 1934 est nommée « L’année des deux dames ». Elles laissent des précieux documents qui serviront de carnet de route à nos deux autres dames contemporaines qui au fil de leur pérégrination découvriront quelques secrets.

Moins de méharée que dans la version originale mais en gommant tous les clichés primitifs de l’époque et en remettant la Mauritanie dans son contexte actuel, entre un passé chargé d’histoire et une envie de perdurer une culture nomade indéniable. Au fil des pages ou des pas, l’admiration pour les deux dames des années 30 s’essouffle un peu à cause du côté un peu méprisant – voire totalement – envers certains peuples. Par exemple, la Mauritanie renferme à la fois les Maures « blancs » et les Maures « noirs » mais ces derniers seront totalement occultés par Odette et Marion, et, elles n’hésitent  pas dans leurs carnets, à traiter de « pouilleux » certains hommes… Le contexte colonial est terriblement présent avec ce sentiment de domination même si elles partaient à la recherche de l’autre.

Catherine et Marine marchent ensemble à la rencontre d’une terre, à la rencontre de femmes et d’hommes qui, pour certains, ont connu les deux anciennes voyageuses. Le tout avec toute la noblesse d’un peuple accueillant le mieux possible les deux femmes que rien, ou presque, ne semble effrayer. Si ce n’est la fatigue d’une journée à dos de chameau ou la chaleur écrasante.

Ah quel beau voyage je viens de faire, et, en refermant le livre j’avais l’impression d’avoir reçu le souffle des aèdes du désert et retrouvé une partie de mes lointaines origines.


« Boutilimit abrite la deuxième plus grande collection de manuscrits du pays. Nous avons découvert son existence sur un dessin de Marion classé aux archives. La bibliothèque renfermerait des écrits de poésie, mathématiques, théologie, philosophie, médecine, datant pour certains du XIII° siècle (…) Nommée selon une plante graminée de la région, le tîlîmît, elle est considérée comme la capitale intellectuelle du pays. Y vit une majorité de Maures dotés d’une grande érudition en matière de religion, communément appelés marabouts, l’un des nombreux groupes ethniques de la société mauritanienne ».

« La magie des mots, des vers et des sons est au cœur de l’identité mauritanienne ».

« Une fois les chameaux déchargés, les deux khaïmas installés, les matelas posés au sol, le cérémonial du thé peut commencer. Partagé cinq à dix fois par jour, il devient notre langage. Coutume intemporelle. C’est dans ces moments-là que malgré la barrière de la langue, on perçoit l’autre. Par le regard, l’attente, l’habitude ».

« Ce que craint par-dessus tout notre hôte, bien qu’il le dise seulement à demi-mot, c’est que les manuscrits tombent un jour aux mains des terroristes.
-       Tous ces ouvrages livrent une version tolérante de l’islam. Quand Chinguetti est passée en zone rouge, nous avons échappé au pire. Si les livres étaient amenés à disparaître, rien ne prouverait que l’islam a un jour été une religion de paix et non un fanatisme politique utilisé pour manipuler les opinions.
Pour Seif, leur préservation n’est pas le caprice d’un amoureux des mots, mais une responsabilité pour l’humanité. Avant de nous quitter, il souhaite nous réciter un poème en arabe, il nous livre le récit d’un combattant courageux dont la ténacité a fini par payer et l’a mené sur le chemin de la gloire. Sur le pas de la porte, il nous demande de lui souhaiter le même destin dans sa quête de reconnaissance de la mémoire écrite. Avant de nous livrer, comme un secret de Polichinelle :
-       Croyez-moi, Mesdames, c’est l’unique moyen d’en finir avec ceux qui répètent que l’Afrique n’a pas d’Histoire ».

L’Année des deux dames – Catherine Faye / Marine Sanclemente – Editions Paulsen – Septembre 2020 – Rentrée littéraire 2020

 

 

 

 

 

 

 

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