mardi 29 septembre 2020

 

Une noisette, un livre
 
L’inconnue du 17 mars
Didier van Cauwelaert
 


Lucas a tout perdu. Divorcé, il a perdu son emploi suite à un litige avec une de ses élèves, il n’a plus d’appartement et désormais sa résidence est la rue. De Clichy, il est parti s’installer vers la Motte-Piquet près d’une grille d’aération du métro, tant qu’à faire, autant aller dans un quartier chic !

Mais ce mois de mars 2020 va être un nouveau tournant dans sa vie : un virus envahit le monde et la France va se confiner. Lucas est presque joyeux, voir déambuler les gens, pressés de faire des réserves ou/et fuir le fracas des fragments viraux. Il bien décidé à ne pas être confiné dans un centre d’urgence. En traversant la rue en courant, il est renversé par une voiture. Quand il se réveille, il est à l’intérieur du véhicule conduit par une ravissante dame qui ne lui semble pas vraiment inconnue. Une fois arrivés tous les deux dans le domaine qui a été la résidence d’enfance de Lucas avant qu’un drame n'éclate, Audrey – c’est ainsi qu’elle se nomme – lui raconte qu’elle est une « mangeuse d’amour ». tout semble porter à croire qu’elle est effectivement une déesse venue des Pléiades…

Sur fond de crise sanitaire, Didier van Cauwelaert nous plonge dans un conte fantastique – dans toute la polysémie du vocable – où l’humour côtoie une certaine colère face à ce que le monde vit depuis le début de l’année. En France, le 17 mars a marqué un tournant et nous naviguons tous un peu dans l’inconnu. L’écrivain apôtre de la bienveillance – l’une des meilleures solutions pour répondre aux crises de la société – essaie de raison garder et nous incite à évacuer nos peurs, à prendre conscience de préserver au plus vite notre planète, à regarder au-delà de soi ; de se débarrasser de cet « orgueil masochiste » sans oublier l’éternelle richesse de la littérature et de l’amour.

Mais cela n’empêche pas notre écrivain d’envoyer quelques piques mordantes savamment rythmées sur la bureaucratie courtelinesque, sur cet esprit français si attaché au jacobinisme, sur les envolées guerrières des dirigeants souhaitant arborer des casques imaginaires, sur cet esprit morbide qui enveloppe des petits croque-morts en herbe, sur la jouissance des experts manipulant des marionnettes pour répandre peur et confusion, sans oublier la récupération politique et la profusion des adorateurs du complotisme entretenu.

Cet esprit imaginatif et facétieux est un excellent remède contre cette morosité augmentée depuis le 17 mars, ce sont des vitamines livresques qui dopent l’énergie et ouvrent l’espoir du renouveau.

Prenez soin des autres, prenez soin de vous et laissez vous embarquer avec cette inconnue du 17 mars pour retrouver un souffle d’accalmie dans les turpitudes d’une société elle-même virale.

« Et puis, le jour de gloire est arrivé. Le robot ménager qui nous servait de président avait annoncé d’un ton gaullien, dans toutes les télés autour de moi, qu’il déclarait la guerre au virus, en conséquence de quoi plus personne n’aurait le droit de sortir à compter du 17 mars à midi, hormis les flics et les soignants. Ça aussi, ça m’avait fait sourire. Mobilisation générale à domicile. On avait envoyé nos aïeux se faire occire loin de chez eux ; aujourd’hui on casernait les citoyens sur leur canapé, armés de leur zapette pour compter les morts en direct ».

« Il fallait que la planète ferme pour que les cœurs s’ouvrent ».

« C’est très commode le complotisme. C’est une vague décharge à ciel ouvert, où il est difficile de pratiquer le tri sélectif. L’hystérie des extrémistes et les élucubrations paranos y neutralisent par contagion les alertes dérangeantes, les vérités illicites, les arguments trop convaincants pour être réfutés autrement que par l’opprobre et l’amalgame ».

« Ce qui est mortifère, c’est votre politique d’économies en matière de santé ».

« Le temps a pris un rythme étrange. A la fois dilaté, répétitif et suspendu. Le matin, dans la bibliothèque de Charles, j’assimile en ordre dispersé les écrits qui l’ont conduit à mettre au point sa thérapie. De jour en jour s’accroît la sensation d’être confiné dans l’infini. L’infini du savoir, des lois de la nature et de la physique sans cesse amendées, étendues. L’infini de la bêtise, des peurs et des magouilles qui, perpétuellement, en freinent l’expansion. L’infini des grandes intuitions et des bonnes volontés qui tentent de contrecarrer la censure ».

« Elle s’offrait comme un rêve incarné, un logiciel de plaisir qui me comblait en me laissant sur ma faim. C’était le but. Ça faisait partie du coaching. Il fallait que je retrouve la force vitale, l’estime de soi, le sens de l’enjeu, l’envie et les moyens de changer le monde. Faire l’amour avec cette entité biologique inconnue, c’était renouer avec moi, avec ce jeune idéaliste qui avait pris la vie pour un roman de Chateaubriand et qui s’était laissé broyer par les drames, les désillusions, l’injustice et l’orgueil maso ».

L’inconnue du 17 mars – Didier van Cauwelaert – Editions Albin Michel – Septembre 2020

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