lundi 7 septembre 2020

 

Une noisette, une rentrée littéraire #13
 
Le Métier de mourir
Jean-René Van der Plaesten

 


Mais qui est donc ce soldat qui surveille un check-point dans le Sud-Liban pendant la guerre civile ? Sibyllin, il porte le nom d’une montagne de la vallée d’Aoste et semble vouloir garder tous ses secrets au plus profond de son âme. Seuls, quelques anciens collègues du temps de l’Indochine ou de ses fonctions dans l’armée israélienne ont quelques éléments de sa vie. Né en Pologne, il est un survivant du camp d’extermination de Treblinka, personne ne sait comment il a survécu car toute sa famille y a péri. Sa vie consacrée à la guerre est une succession de « déchirures, de ruptures, de cassures ». Seul au monde il continue pourtant de croire en la vie. Il sait pourtant qu’il peut disparaître à tout moment et l’arrivée d’un jeune volontaire français, Favrier, lui fait espérer un espoir de transmission : sans enfant il se dit que ce jeune homme pourrait devenir le fils qu’il n’a pas eu.

Belleface est un bon chef, dur mais juste. Un baroudeur hors norme qui pourrait avoir vécu toutes les époques, de la traversée des Alpes avec Jules César jusqu’à l’Indochine. Intuitif, il est avare de paroles et de gestes, attache de l’importance aux détails et semble ne s’émouvoir de rien. Pourtant, le soir sous sa tente, une certaine mélancolie l’accapare et seul l’opium lui procure un apaisement lorsqu’il repense à sa tendre enfance entre un père médecin et une mère violoncelliste ou à la femme, Ruth, qu’il a aimé de tout son cœur et qui a été assassinée par un terroriste alors qu’elle rentrait chez elle. Seul ou avec ses hommes, maintes fois il fait référence à son livre de chevet, L’Ecclésiaste, mais l’ouvrage auquel il tient le plus est une vieille bible qui a appartenu au Père Tarkowski.

Ce roman a des accents de « Désert des Tartares » ? Belleface aussi seul que l’officier Giovanni Drogo, même s’il a vu maintes fois les ennemis arriver et les verra encore. Mais son combat est la mort, cette grande faucheuse qui sévit autour de ses proches comme une malédiction. Tourmenté entre sa décision de ne pas avoir eu d’enfant dans ce monde sanguinaire et l’absence de descendance, le soldat fonde des espoirs de survie après la mort, de son histoire, de son expérience à travers ce jeune Favrier. Il a cette préscience de deviner qu’il fera un excellent militaire. Pour cela il va le former et il passe du temps avec lui, aussi bien pour des conseils stratégiques que pour lui confier quelques secrets, même si à dose homéopathique. C’est là, tout le tragique des personnes qui se retrouvent seules au monde et qui voient la mort inéluctable effacer, non seulement toute trace familiale génétique mais également le patrimoine historique personnel fait de peines et de joies, de succès et d’échecs, de sentiments et de convictions.

Par une narration qui vous prend aux tripes, ce récit noble et admirable sur la dignité humaine baigne dans une atmosphère terriblement romantique, entre des amours perdues, des histoires de transmission et la magnificence d’un paysage baigné entre rayons solaires et balles dévastatrices. Vaste réflexion sur le métier de soldat, de ceux qui s’engagent sachant que servir c’est aussi mourir et sur les affres d’un homme qui, malgré son métier de dureté, ne reste pas insensible à son sort, à ceux des autres. A celui du monde aussi.

 Un roman à vous faire mettre au garde à vous.

« C’était déjà bien de rester dans le souvenir de quelqu’un. Compter aux yeux d’une personne, cela voulait dire qu’on avait servi à quelque chose lors de notre passage sur terre ».

« Les hommes veulent croire que ce sont leurs pères qui leur enseignent la vie, tout cela pour se donner de l’importance et garder l’illusion qu’ils maîtrisent l’ordre des choses et la marche du temps, mais en réalité, songeait-il, ce sont les mères qui apprennent à leurs fils les lois de l’existence. Tout se transmet et s’est toujours transmis par les femmes, et c’est ainsi depuis l’aube de l’humanité ».

« Le regret de n’avoir personne qui lui survive l’effleura de nouveau mais il chassa vite cette idée. Car il éprouvait la certitude que le monde à venir serait tout aussi meurtrier que celui dans lequel il avait vécu. Dans ces conditions, à quoi bon lancer et promouvoir dans l’existence des enfants qui finiraient, un jour ou l’autre, par se déclarer la guerre et la faire ? »

« Mourir, c’était juste s’en aller après avoir fait quelques tours dans le manège de l’existence ».

« La justice des hommes, c’est une blague. Elle est rendue à la tête du client. Selon que tu es puissant ou misérable, tu auras droit à une justice différente (…) Il y a trop de dérogations dans la justice des hommes, de la clémence lorsqu’il faudrait de la sévérité, et de la rigidité lorsqu’il faudrait de l’intelligence ou de la clairvoyance ».

« Survivre à la Shoah, c’était non seulement apprendre à vivre avec la colère, mais aussi accepter l’obligation de prendre une revanche sur la vie. C’était un devoir dont il était redevable envers les siens, envers tous ceux qui avaient péri dans le camp de Treblinka ».

« Favrier aimait et admirait ce fatalisme oriental qu’il avait découvert en arrivant à ras-el-Bayada. Il y voyait comme une réponse à l’agitation parisienne qu’il ne supportait plus lorsqu’il avait pris la décision de quitter la France ».

Le Métier de mourir – Jean-René van Der Plaetsen – Editions Grasset – Août 2020 – Rentrée littéraire 2020

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