dimanche 20 septembre 2020

 

Une noisette, une rentrée littéraire #17
 
L’historiographe du royaume
Maël Renouard

 


Années 50. Abderrahmane Eljarib est né la même année que le futur monarque Hassan II et, à l’âge de 15 ans, bien que d’extraction humble par rapport à l’ensemble des élèves, il est placé au Collège royal dans la même classe que l’aîné des princes.

Quelques années plus tard, il se retrouve au service du nouveau roi et oscillera durant toute sa carrière entre grâce et disgrâce. Au moment où il espère une consécration il est envoyé à Tarfaya – là où Saint-Exupéry fut nommé chef d’aérodrome –  comme « gouverneur académique », titre pompeux pour une fonction qui ne sera que virtuelle, le territoire n’ayant pratiquement aucune école sur son sol.

En septembre 68 le destin de notre narrateur énigmatique emprunte une nouvelle direction. Alors qu’il s’attend à ce que le souverain lui jette l’opprobre, il est nommé officiellement « historiographe du royaume ».

C’est là que lecteur plonge dans un tourbillon éblouissant, tel un nouveau conte des Mille et Une Nuits avec des personnages mis en miroir, principalement Hassan II, Moulay Ismaïl, Mohammad Reza Pahlavi et Louis XIV. Nombreuses sont les tournures empruntées au conte par cet Aladin des temps modernes à la plume merveilleuse qui se fond dans un personnage qui semble avoir réellement existé.

Une plume merveilleuse qui a la faculté de se transformer en pointe de fer dans une encre de velours. Sous des apparences fortes élégantes et respectueuses, se glissent des remarques et épigrammes délicieusement révélateurs de la nature ambiguë d’Hassan II, ce monarque qui, par exemple, rejetait les courtisans mais ne tolérait pas que quelqu’un lui tînt tête.

Mais le plus judicieux est de mettre en parallèle, par le biais de célébrations chimériques, Hassan II et l’un des fondateurs du Maroc moderne : Moulay Ismaïl, aussi bâtisseur que sanguinaire dont le mythe et le parcours ne sont pas sans rappeler Louis XIV. De Meknès à Versailles, il manquait un autre lieu mythologique, celui de Persépolis où se déroulèrent en 1971 des cérémonies somptueuses pour commémorer les 2500 ans de la monarchie perse. Faste et mégalomanie.

Mais au fait, qu’est-ce qu’un historiographe ? Le protagoniste répond largement à la question lors d’un échange jubilatoire avec un Delhaye, professeur d’histoire et camarade de la même promotion que Georges Pompidou à l’Ecole normale supérieure. Le terme apparait en français vers la moitié du XVI° par le controversé Antoine Furetière mais son usage remonte plus d’un siècle auparavant. Une sorte d’histoire dans l’histoire que d’être officiellement le biographe d’un souverain. Racine, Voltaire, Boileau sont les plus connus, sans oublier un autre académicien qui fit date dans l’histoire de l’institution, Pellisson, et dont le parallèle que fait l’auteur avec son héros est troublant. Grâce et disgrâce, et inversement…Si la tradition s’est pratiquement éteinte après la Révolution française, il s’en est fallu de peu pour que Chateaubriand le devînt sous la Restauration. A la place, point de tentation de Venise mais l’appel de Rome pour devenir Ambassadeur de France près le Saint-Siège.

Ce premier roman de Maël Renouard est absolument splendide tant par sa forme, qui rappelle les Mémoires du Comte de Saint-Simon, que pour sa richesse historique naviguant sur les ailes des belles lettres et de toutes les subtilités qui font honneur à la langue française dans cette recherche du temps perdu au royaume chérifien. Des élégies livresques sur le théâtre du monde.

« Cette révolution de palais avait été montée de telle sorte que l’opinion internationale pût croire qu’elle émanait de la volonté des élites de notre pays, sinon du peuple lui-même. Elle était en réalité l’œuvre de grands notables prêts à sacrifier l’indépendance au profit de leurs intérêts ».

« Quand j’arrivai à Tarfaya, le jour était près de finir. Je m’arrêtai à l’entrée de la ville, le long de la plage. Le premier des innombrables crépuscules marins auxquels j’allais avoir tout le loisir d’assister n’a pas quitté ma mémoire. Une bande de nuages sombres surplombait au loin la mer, et dessinait comme une chaîne de montagnes inconnue, derrière laquelle le soleil disparut ; mais, dans une étroite ouverture que ces nuages dessinèrent au-dessus de l’horizon, ses feux rougeoyants brillèrent à nouveau, un instant ; puis ils s’éteignirent, et la nuit s’établit peu à peu. Déjà je reconnaissais la muraille blanche du fortin espagnol que l’on m’avait assigné pour demeure ».

« J’allais vers elle ; et pour lui marquer combien son apparition était extraordinaire, je lui demandai, comme dans le conte de La Fille du sultan des Baumes : « Etes-vous djinn, ou être humain ? » Elle plongea son regard dans le mien, sans d’abord dire un mot, et en paraissant faire une infinité de réflexions. Puis elle répondit, en me souriant : « Comme toi, je suis de la race d’Adam ». Je ne puis exprimer la joie que j’eus de percevoir tout l’à-propos dont elle était capable, et l’entente qui ne manquerait pas de s’établir entre nos esprits ; et je crus voir qu’elle était, pour sa part, satisfaite de l’effet qu’avait produit sur moi sa réponse ».

« Nous étions décidément un pays de rumeurs ; un pays où la rumeur était reine, si bien que même le roi était son sujet ».

L’historiographe du royaume – Maël Renouard – Editions Grasset – Septembre 2020 – Rentrée littéraire 2020

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