dimanche 28 octobre 2018


Une noisette, un livre


 Un gentleman à Moscou

Amor Towles




Moscou. 1922 – 1954.
Une épopée de plus de trente ans dans l’immensité de la Russie devenue soviétique.
Bref rappel : en mars 1917, le tsar Nicolas II abdique et quelques mois plus tard la république est instaurée par Kerenski. Période trouble (euphémisme) car au même moment la première guerre mondiale prend une terrible ampleur et la Russie fait partie des alliés. Mais le Révolution d’Octobre arrive et modifie complètement les alliances… C’est une guerre civile qui s’engage entre les armées blanches et les armées rouges ; les Bolchevik, déjà au pouvoir depuis 1917, gagnent définitivement et créent en décembre 1922 l’URSS.

Entre temps, le 21 juin 1922, un certain comte Alexandre Ilitch Rostov comparait devant le comité exceptionnel du commissariat du peuple aux affaires intérieures. Son grief : un poème dont en apprendra la véritable origine un peu plus tard. L’aristocrate dans toute sa noblesse du terme est assigné à vivre en résidence surveillée dans un haut lieu symbolique de la capitale moscovite : l’hôtel Métropol.

L’histoire commence. Vous pouvez vous asseoir dans un fauteuil Voltaire à côté d’un samovar posé sur une table orientale pour vivre les jours et les nuits de comte facétieux qui va progressivement s’incorporer à toutes les facettes du palace, devenir le confident et l’ami de la couturière et du barman, travailler comme serveur au restaurant Boyarski. L’évènement le plus important est sa rencontre avec une petite fille, Nina. Une confiance mutuelle va naître entre les deux, tellement, que des années plus tard, elle ne voit que cet « oncle » à qui confier sa petite fille Sofia. Au départ, pour simplement quelques mois…

Un amour de roman, si on peut le qualifier ainsi car c’est un livre inclassable tant il chevauche en même temps sur réalité et fiction avec des toasts d’humour, des envolées homériques, des notes mozartiennes, le tout enveloppé dans un parchemin historique semé d’anecdotes en demi-teintes. Un livre qui charme, à l’image de ce comte séducteur malgré lui, mettant le lecteur hors du temps, hors de l’espace, hors de tout, une lecture en apesanteur en quelque sorte pour plonger dans la culture russe d’un monde d’antan mais par une plume contemporaine qui sait mettre en émoi dès que l’on entraperçoit le prénom et le nom du comte : mélange subtil d’une dynastie de tsars et de Léon Tostoï !
Cloîtré, le comte voyage dans sa tête, de souvenirs en souvenirs, d’une pommeraie à un dîner du temps de la liberté ; il songe à Cervantes et à Napoléon, à Edmond Dantès et à Robinson Crusoé. Mais l’hôtel est loin d’être une île déserte car rapidement le Métropol devient le théâtre (avec un Bolchoï comme voisin…) de rencontres politiques, de scènes cocasses, de leçons d’initiation diplomatique, sans oublier le côté village Potemkine (référence plus tsariste que soviétique) qui se met progressivement en place.

Savoir regarder, savoir écouter, savoir se taire, savoir s’amuser, savoir doser, c’est la leçon magistrale d’un gentleman parfois un peu cambrioleur. Et puis, de l’élégance avant toute chose…

« S’il avait été pianiste, Andreï aurait facilement pu jouer un accord de douzième. S’il avait été marionnettiste, il aurait pu recréer le duel entre Macbeth et Macduff avec en prime trois sorcières. Mais Andreï n’était ni pianiste ni marionnettiste – du moins pas dans le sens traditionnel du terme ; Il était capitaine du Boyarski, un capitaine dont les mains exécutaient leurs tâches l’une après l’autre sous votre regard émerveillé. »

« Aux braves qui se sont égarés, les Parques offrent un guide. Sur l’île de Crète, Thésée avait son Ariane et sa pelote magique pour sortir sain et sauf de l’antre du Minotaure. Perdus dans ces cavernes habitées par des spectres, Ulysse avant son Tisérias, Dante son Virgile. A l’hôtel Metropol, le comte Alexandre Ilitch Rostov avait une fillette de neuf ans de Nina Koulikova. »

« Pour un jeune homme désireux d’impressionner une jeune femme, le menu du Piazza était aussi traître que les eaux du détroit de Messine, avec à gauche Scylla, c’est-à-dire des plats bon marché dont le choix risquait de suggérer radinerie et manque de flair ; et à droite Charybde, en l’occurrence des mets raffinés susceptibles de vider votre portefeuille et de vous donner des airs prétentieux. »

« Après-tout, nos premières impressions, que nous apprennent-elles d’une personne aperçue une minute dans un hall d’hôtel ? J’irais plus loin : nos premières impressions nous apprennent-elles quelque chose ? Réponse : pas plus que ce qu’un accord nous apprend de Beethoven, ou un coup de pinceau de Boticelli. De par leur nature même, les êtres humains sont tellement capricieux, complexes et délicieusement contradictoires qu’ils méritent non seulement un examen de notre part, mais également un réexamen – ainsi que notre engagement ferme à réserver notre opinion tant que nous n’avons pas eu affaire à eux à des endroits et des moments aussi divers que possible. »

« Depuis qu’il y a des hommes sur terre, songea le comte, il y a des hommes en exil. Que ce soit dans les tribus primitives ou les sociétés les plus avancées, ils sont invités par leurs compatriotes à faire leurs valises, à traverser la frontière et à ne plus jamais poser le pied sur le sol natal. »

« Au garde-à-vous à l’entrée du salon jaune se tenait un Goliath de taille à faire réfléchir n’importe quel David. »

« Le comte avait parfaitement raison. Car lorsque la vie empêche un homme de poursuivre ses rêves, il fera tout pour les poursuivre quand même. »

Un gentleman à Moscou – Amor Towles – Traduction Nathalie Cunnington – Editions Fayard – Août 2018

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