Noisette berrichonne
La
poète aux mains noires
Ingrid Glowacki
« L’atelier
était mon refuge, ma liberté préservée »
Il y a des rencontres inoubliables. Comme celle d’Ingrid Glowacki avec Marie Talbot grâce à l’art et son pouvoir de transmission. Ou comme celle d’un lecteur avec Ingrid Glowacki pour cette biographie romancée de la potière du village de La Borne, un lieu devenu incontournable de la céramique grâce à celle qui, à sa naissance, s’appelait Jeanne Brulé.
Comment raconter Marie Talbot ? D’elle on ne sait pratiquement rien, mystérieuse comme les vallons qui forment l’ancienne Principauté de Boisbelle, rachetée en 1605 par Sully qui va créer ensuite Henrichemont juste à côté de La Borne.
Marie Talbot cumulait tous les facteurs pour ne jamais sortir de l’ombre : pauvre, femme, paysanne, bâtarde. Pourtant, elle su se faire une place dans ce milieu d’hommes du XIXe siècle, s’affranchir. Point de départ pour construire une histoire et faire revivre cette artiste encore trop occultée de nos jours.
Ingrid Glowacki ne fait pas que poser l’encre sur une page, l’encre bat dans son cœur comme la terre battait dans l’âme de Marie Talbot. Passionnée, courageuse, Marie Talbot brise les chaines, ose, surmonte ses chagrins, fait corps avec l’argile pour sublimer la matière. Fière d’être une femme, fière d’être artiste.
Par une écriture sculpturale, la primo-romancière modèle les fontaines de la potière, source de son inspiration pour faire revivre une époque – que d’heures innombrables passées en recherches minutieuses pour faire éclore le roman – certes avec du charme mais où les femmes avaient surtout le droit de se taire et d’obéir ! À la même époque, une autre grande dame du Berry veut briser les chaînes, s’émanciper : George Sand. Se sont-elles rencontrées ? Nul ne sait, aucune trace mais le doute est permis. Et puis les rassembler dans un livre est un hymne à la liberté et un chant de la terre. Car cette terre va sauver Marie Talbot et tracera son destin.
« Je n’avais qu’une envie : entrer dans l’agitation. Moi aussi, je voulais être noire de terre ».
« J’étais marginale, je me réservais cette marge de liberté dans une société contraignante dont j’essayais de m’extraire ou peut-être d’en agrandir les contours. Marginale dans mes amours, dans mon art qui ne répondaient à aucun code ».
« Il faut beaucoup de souffrances mêlées au bonheur pour réussir à atteindre ce qu’on a discerné de la vie, à lui faire prendre forme. J’aimais prendre le contre-pied de tout ce qui avait déjà été vu. Je ressentais puissamment que le but de mon œuvre était la beauté. Mais une beauté dans la vérité. Une vérité suis generis. Je ne voulais pas d’une esthétique plate et fade. Je me devais de faire réfléchir : former des créatures féminines pour obliger le spectateur à se questionner sur le monde qui l’entourait. La femme, l’homme, l’ironie des contraires. Je choquais l’ordre établi pour imposer mes vues, provoquer une émotion : choisir et surprendre. Faire surgir… »
La poète aux mains noires – Ingrid Glowacki – Éditions Gallimard/L’Arpenteur – Septembre 2024
✔Vous pouvez retrouver mon interview d’Ingrid Glowacki dans le n°170 Hiver 2024 du Magazine du Berry des Éditions La Bouinotte
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