mercredi 26 mai 2021

 

Une noisette, un livre
 
L’archipel des ombres
Bruno Philip

 


Vous aimeriez lire un livre qui vous fait voyager sans pour autant tomber dans la sempiternelle ennuyeuse carte postale préfabriquée ? Cette parution des éditions Equateurs sera pour vous. Direction l’Asie sur les pas de Joseph Conrad, d’Arthur Rimbaud et de ceux qui ont mis en ombre et en lumière cet archipel aux peuples et traditions multiples.

Habitué à séjourner en Asie, le journaliste Bruno Philip a parcouru un long périple en Indonésie depuis Medan jusqu’au Timor oriental en passant par les Moluques à la rencontre des habitants aussi divers que l’archipel compte d’îles, habitants qui sont tous sous les intempéries de la mondialisation et de ses affres les plus diverses, faisant disparaître les valeurs ancestrales pour laisser place, parfois, aux dérives les plus extrêmes.

Il y a un peu de Joseph Conrad dans Bruno Philip, prompt à ressentir les mêmes tourments, le même pessimisme ; pour paraphraser Joseph Kessel à propos de l’auteur de Lord Jim  je dirais que dans la narration du journaliste du Monde, s’agitent des forces obscures mais qui finissent pourtant par se montrer victorieuses dans l’inévitable semence de l’encre… Une dualité entre l’inquiétude et cette capacité à pourtant mettre un peu de lumière dans les ténèbres, probablement en jouant sur le fil des émotions. De Joseph Konrad il en est d’ailleurs question puisqu’un chapitre est dédié au personnage de La Folie Almayer sur la façade orientale de l’île de Bornéo, un commerçant métis dans les  troubles eaux des tourments s’appelant William Charles Olmeijer et qui, selon l’enquête menée par notre Tintin des temps modernes, serait enterré dans l’île voisine de Célèbes (Sulawesi) à Makassar exactement. Un peu plus loin vers le nord et en avançant vers l’Est, Bruno Philip repense encore à Konrad et son Lord Jim bien que l’écrivain polonais n’est jamais foulé le sol des Moluques mais toute l’ambiance est pourtant là, surtout quand il fouille les traces de ce soldat japonais oublié ou « l’énigme Nakamura ». Des Moluques, l’auteur rappelle les terribles affrontements à la fin des années 90 entre les communautés musulmanes et chrétiennes faisant plus de 10.000 victimes.

Autre lieu, autre écrivain. L’île de Java avec le passage éphémère d’Arthur Rimbaud qui laisse peu de souvenir aux habitants de l’archipel et à la ville de Semarang, lorsque le poète s’était brièvement engagé dans l’armée hollandaise avant de partir vers d’autres horizons. Une plaque apposée par l’ancien ambassadeur de France en Indonésie, Thierry de Beaucé, rappelle toutefois qu’un bateau ivre avait dérivé vers la région de Malang…

Mais pas que les célébrités qui sont évoquées, les différents peuples également, comme les Dayaks et leurs rivaux les Madurais et puis cette curieuse communauté du peuple Toraja qui fait cohabiter les morts avec les vivants, la mort n’étant pas une fin mais une prolongation de la vie. Alors, avant d’offrir une sépulture, le cadavre continue de « vivre » chez lui pendant un an, une momie avec qui on continue de partager le quotidien sur les hauteurs de l’île de Sulawesi.

D’autres curiosités vous attendent pour ce voyage livresque parsemé d’histoire, de références et de vie quotidienne. On croit s’enfoncer dans le cœur des ténèbres mais c’est une victoire à laquelle même peut-être Bruno Philip n’y croit pas.

« L’Indonésie avait fait plus que m’attendre : elle me sauta à la figure avec toute l’extravagance dont elle était capable ».

« L’Indonésie prédisposait-elle à l’errance ? Peut-être. Je crois qu’ici tout voyageur ne tardait pas à sentir que l’archipel chantait de mer une ode à la fuite. Il y avait quelque chose d’inexplicable mais de très perceptible dans ce que dégageait à son insu de curieux bled : une infinie capacité à pousser tout dérivant à faire voile vers des destinations toujours changeantes ».

« La forêt est notre monde, expliqua Peng, c’est là que l’on chasse, c’est là que l’on pêche, c’est là que l’on trouve à manger, c’est là que l’on boit l’eau des rivières et des bambous, c’est là que l’on jouit de la beauté des choses. Si on détruit la forêt, c’est notre âme elle-même que l’on détruit ».

« Je relisais Lord Jim. Dans son fameux livre, l’auteur avait voulu montrer que la tragédie personnelle de Jim le marin était à l’image de celle de tous les hommes. La souffrance, sans rémission de son héros, rongé par la culpabilité, le condamnait pour toujours à incarner le caractère universel du malheur de la race humaine ».

L’archipel des ombres, un voyage en Indonésie – Bruno Philip – Editions des Equateurs – Mai 2021

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