lundi 10 mai 2021

 

Une noisette, un livre
 
L’étoile des frontières
Alfred de Montesquiou

 


« Syrie. Ce berceau des civilisations, ce lieu de passage prédestiné, dont la richesse et la beauté ont retenu, sans les mêler, tant de peuples, cette terre où poussent avec une force ardente les croyances et les hérésies, déroute et confond. Je confesse avec humilité que les premiers temps de mon séjour à Beyrouth je ne comprenais rien aux propos tenus devant moi. Les allaouites, les achémites, les maronites, les sunnites, les Grecs orthodoxes, les chiites, le comité syro-palestinien, les bandits, les rebelles, les Druses, du Djebel et ceux du Horan, les Libanais, les Syriens, las Damascains, - et j’en passe – comment s’y reconnaître ? Il y a vingt-sept religions en Syrie. Chacune d’elles tient lieu de nationalité. Et les influences les plus diverses sollicitent moralement et matériellement ce chaos ». Joseph Kessel – En Syrie

Comment ne pas repenser à ce texte écrit en 1926 par un lion véritable quand on découvre le roman éblouissant d’Alfred de Montesquiou, lui aussi grand reporter plongeant dans la littérature pour raconter l’aventure des hommes et du monde.

Depuis cette Syrie sous Mandat français, que d’eau a coulé dans l’Euphrate mais aussi du sang depuis l’arrivée d’un pouvoir clanique en 1970. « L’étoile des frontières » se déroule en 2013, deux ans après le début d’une guerre civile sans fin, une fiction dans la plus cruelle des réalités.

Photographe au regard sans objectif, Olivier Méri est à Beyrouth à la recherche de ses origines. Enfant adopté – probablement volé – il essaie d’obtenir des informations dans un couvent où règne la loi de l’impénétrable. Néanmoins, avec quelques informations obtenues à l’arraché, il n’a plus qu’un but, partir en Syrie malgré le climat des bombes. Au consulat de France pour obtenir un visa, il rencontre Axel Monvoisin, grand reporter au caractère intrépide, qui lui aussi négocie pour pouvoir entrer dans le territoire voisin. Finalement, ils vont partir ensemble sans savoir ce que le destin leur réserve. Destination Homs. Al’épicentre du chaos, ils vont s’infiltrer dans ce squelette de l’inhumanité où vivent encore des familles trop pauvres pour fuir, des rebelles et révolutionnaires luttant corps et âmes pour la liberté avec l’arrivée de troupes djihadistes sous la bénédiction d’un régime ayant parfaitement compris la stratégie  « diviser pour mieux régner ». Avec eux, les accompagnent Farid, un jeune toulousain radicalisé et son incandescente femme Nejma.

Le Moyen-Orient, La Syrie, Homs. Une fiction qui rappelle des carnets, ceux de Jonathan Littel, probablement une lecture qui, près de dix ans plus tard, continue de me hanter.

Ce roman est dédié au plus des 500.000 victimes du conflit syrien et à deux photographes de presse : Rémi Ochlik et Olivier Voisin. Olivier Voisin est décédé après avoir reçu des éclats d’obus à Idlib et on se souvient du documentaire poignant fait pas ses amis « Témoigner, mourir ». Un an auparavant, c’était Rémi Ochlik qui succombait aux balles du régime. A Homs. Avec Marie Colvin. Comment ne pas se souvenir de cette histoire, là où Edith Bouvier fut sauvé in extremis et ce tunnel. Tunnel si présent dans le récit d’Alfred de Montesquiou. C’est là, la force des mots, des détails ; cette force qui ne fait pas oublier le passé et les vies arrachées dans toute l’espérance de la jeunesse.

Pour la plupart d’entre nous, c’est une guerre vue de plus de l’extérieur – je parle de la vraie guerre, pas celle que l’on essaie de mettre dans toutes les définitions. Ce roman, est la photographie d’une guerre vécue à l’intérieur, par une population mettant le curseur de l’instinct de survie au maximum et par des correspondants – de plus en plus rares – qui n’ont pourtant aucun concept ordalique en eux mais qui risquent leur vie pour informer, dénoncer, éveiller les consciences, rétablir la vérité, balayer les mensonges.

Dans son roman, le journaliste écrivain décrit  avec lucidité et franchise la véritable histoire du régime de Damas et de ses actes, bien au-delà de ce qu’un Machiavel aurait pu imaginer. Les rebelles et révolutionnaires étant loin d’être des terroristes, se souvenir des premières manifestations à Deraa. C’est deux ans après le début des soulèvements que les organisations islamistes se sont infiltrées, rempart utile pour Assad et ses sbires. Sans oublier, l’utilisation d’armes chimiques, une ligne rouge devenue écarlate dans l’inaction internationale.

Quel hommage également envers cette jeunesse, ces femmes, ces hommes, aspirant à la liberté dans ces régions où le meilleur côtoie le pire et à cette immense générosité trop souvent occultée par les actes ignobles d’êtres manipulés par des hyènes assoiffés de pouvoir et de cruauté.

« L’étoile des frontières », titre magnifique pour un roman s’enroulant dans le prisme de l’imaginaire avec les faisceaux de la réalité du monde. S’ajoute une écriture travaillée mais coulant avec souplesse, dynamique et moderne avec ce petit quelque chose d’indéfinissable qui fait jaillir la plume des pages. Sans vouloir précipiter quoi que ce soit, un certain fauteuil 27 aimerait peut-être dans l’avenir accueillir Alfred de Montesquiou…

« La souffrance et la folie ont ceci de commun qu’elles occultent le réel, l’éludent pour n’en faire qu’un décor où se joue un drame bien plus vaste. Olivier se persuada qu’enfin la vérité lui tendait la main. Juste là, en Syrie, n’attendant plus de lui qu’un geste de courage ».

«  Ces Syriens étaient comme les orages de leurs montagnes frontalières – entiers, imprévisibles, un soleil radieux succédant brusquement à la pluie la plus noire. Axel aimait ce peuple sans rancune, la violence et la simplicité de ses rapports. Le monde des guerriers arabes conservait intacte cette noblesse des compagnons de Lawrence d’Arabie, la vérité simple du charisme et du courage, la foi en la parole donnée, l’honneur ».

« Un peuple qui s’accoutume à la violence n’a plus la même gestuelle que les autres. En dix-huit mois de guerre, les Syriens faisaient déjà partie de cette espèce à part qui ne mesure plus le danger en kilomètres, mais en poignées de mètres. Comme les Palestiniens ou les Sud-Libanais, les Homsiotes pointaient presque joyeusement le bout du nez dès que les combats tournaient deux coins de rue. A présent que les tirs étaient à plusieurs pâtés de maisons, même les femmes sortaient pour faire leurs emplettes. Des bambins lançaient un jeu de marelle sur le goudron encore jonché de douilles ».

L’étoile des frontières – Alfred de Montesquiou – Editions Stock – Mars 2021

👉👉👉 Interview d'Alfred de Montesquiou sur le blog de Litteram que vous trouverez ICI

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Roman finaliste du Prix Orange du Livre 2021

2 commentaires:

Hildegarde a dit…

hé hop !! dans le panier du bouquetin des montagnes !!!

Squirelito a dit…

@Hildegarde Merci pour votre lecture et je vous souhaite un riche moment avec ce roman d'Alfred de Montesquiou, avec votre avis :) Bouquetinement vôtre,

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